À deux jours de la présentation du Budget 2022-2023, Yassine Sheik Fakir Saheb, chargé de cours en économie à Honoris Educational Network, évoque la conjoncture actuelle et les défis que le Grand argentier, Dr Renganaden Padayachy, est appelé à relever.
Le Budget 2022-2023 sera présenté ce mardi 7 juin. Si vous étiez à la place du Grand argentier, dans quel état d’esprit seriez-vous ?
Le contexte est difficile après la Covid-19 en 2020 et 2021, et maintenant la guerre en Ukraine. Le moral de la population est au plus bas et l’attente est très grande en ce qui concerne les mesures socio-économiques en vue de soulager le quotidien de tout un chacun. Donc, une lourde responsabilité pour le Grand argentier.
Nous sommes à deux ans du scrutin, pensez-vous que le ministre des Finances peut se permettre un Budget populaire, surtout au vu du contexte?
Etant donné la réalité actuelle et les défis qui nous guettent, ce serait totalement irresponsable et inconcevable pour le ministre des Finances de présenter un Budget ‘Bolom Noel’. Il est impératif de faire comprendre à la population que le contexte économique est difficile et qu’il n’y a pas de certitude en termes de ce que nous voulons atteindre tant les enjeux internationaux entravent notre progrès économique. La prudence et la franchise doivent animer le discours budgétaire.
Sous quel signe devra être placé ce Budget ?
Trois axes principaux doivent être au centre du discours budgétaire. Primo, apporter un soulagement immédiat à la population en général et aux groupes vulnérables en particulier en rétablissant la perte du pouvoir d’achat. Secundo, venir de l’avant avec un vrai plan pour assurer notre dépendance alimentaire ; plan qui soit réalisable et avantageux afin qu’on donne la chance à tout le monde d’œuvrer pour notre autosuffisance. Malheureusement, on n’a pas tiré de leçons de nos expériences du confinement. On cherche trop la facilité. Et tertio, on doit poser les jalons pour notre production énergétique face aux menaces des IPPs (Independent Power Producers) et à la demande grandissante. Demain, ce sera trop tard !
Quelle est la difficulté de présenter un Budget dans ce contexte particulier lié au conflit russo-ukrainien et où partout dans le monde, la vie est devenue chère ?
Dans un contexte où les différents moteurs de croissance sont en panne avec l’investissement du privé qui a atteint un niveau très bas et où nos exportations de biens et de services sont de plus en plus incertaines, il faudrait miser sur le gouvernement pour déclencher la machinerie économique. Il est aussi important de ne pas pénaliser la consommation de la classe moyenne avec des nouveaux impôts ; une classe moyenne qui malheureusement est en train de s’appauvrir.
Il est important de ne pas pénaliser la classe moyenne avec de nouveaux impôts»
Sur quelle(s) stratégie(s) miser pour soulager les consommateurs, selon vous ?
D’abord, il faut revoir à la baisse le prix du carburant en revisitant certaines taxes, les droits d’accises et autres contributions. Ensuite, maintenir une roupie forte face aux devises étrangères étant donné que la dépréciation de notre devise nous fait tant de mal déjà et que d’autre part la valeur domestique de la roupie est appelée à perdre de sa valeur face au spectre de l’inflation. Il faut aussi une réduction du taux de taxation sur le revenu pour aider les consommateurs.
Pensez-vous que le gouvernement dispose des moyens nécessaires pour faire face à la situation ?
« Gouverner, c’est prévoir ; et ne rien prévoir, c’est courir à sa perte », disait Emile de Girardin. Le gouvernement a su gérer pendant le confinement avec tous les ‘assistance schemes’. Le gouvernement dispose donc des moyens. Il faut seulement qu’il y ait une utilisation judicieuse et efficace des ressources. Il est grand temps pour le gouvernement de songer à venir de l’avant avec les impôts sur les revenus du capital des particuliers et sur la propriété.
Par rapport à la relance économique, sur quels axes doit-on miser ?
La relance économique devrait passer par la création de l’emploi et du développement de nouveaux secteurs de l’économie. Il est important de décider s’il faut redynamiser l’industrie manufacturière qui existe depuis plus longtemps et qui est par conséquent un pourvoyeur d’emploi soutenu dans le temps ou de favoriser l’industrie du service (le tourisme et les services financiers) réputée pour être plus imprévisible et volatile. Et pourquoi pas un retour à la terre ?
Des mesures ciblées telles que des vouchers ou encore des food packs sont également proposées. Dans quelle mesure sont-elles pertinentes ?
Bien que l’impact de la Covid-19 puisse être temporaire, les systèmes alimentaires subiront d’autres crises, telles que des événements liés aux changements climatiques qui augmenteront probablement en gravité et en fréquence, entraînant des impacts sociétaux similaires à travers le monde. L’adoption d’un plus grand nombre de programmes d’aide en espèces n’implique pas l’élimination des projets d’aide alimentaire, du genre ‘food packs’. L’aide en espèces (cash vouchers) et l’aide alimentaire ne peuvent omettre tous les risques encourus lors de la distribution de l’aide. Mais l’aide en espèces offre un moyen d’atténuer les risques liés à la distribution. Les effets des interventions en espèces sont de plus longue durée par rapport à l’aide alimentaire. L’aide en espèces s’est avérée plus efficace que les interventions alimentaires dans certains pays. Mais les projets d’aide en espèces doivent être intégrés dans un système de transfert d’argent électronique traçable.
Les petites et moyennes entreprises (PME) ont un rôle prépondérant à jouer dans la relance de l’économie locale. Faut-il revoir les « schemes » pour les aider ?
Les petites et moyennes entreprises ont été délaissées pendant la pandémie alors qu’elles emploient pas mal de gens, et créent de la valeur dans l’économie mauricienne. Actuellement, elles sont les plus vulnérables au vu de la manière dont la roupie mauricienne déprécie face au dollar. Il faut protéger les entreprises afin de protéger l’emploi. Il est indispensable de leur donner un encadrement suffisant en termes de capital pour faire face à leurs problèmes et aussi de trouver des moyens pour subventionner les coûts par rapport au fret pour qu’elles demeurent compétitives. Tout cela afin et surtout pour qu’elles puissent survivre. En vue d’allouer ce capital de façon juste et efficace, une étude de leur santé financière ainsi que leur stratégie de marché doivent être faite, et des conditions telles que la préservation de l’emploi doivent y être rattachées.