L’observateur politique et social, Faizal Jeeroburkhan, est d’avis que les activités prévues prochainement par les partis de l’opposition pourraient constituer un véritable test de popularité auprès des Mauriciens. Selon lui, le moment est mal choisi pour tout désaccord au sein de l’opposition.
Pensez-vous que l’organisation prochaine d’une marche de protestation contre le GM aura un quelconque impact ?
L’impact dépendra d’une part de la volonté et la capacité des partis de l’opposition parlementaires et extraparlementaires à se regrouper et à s’accorder sur des objectifs précis et une stratégie commune pour convaincre les citoyens d’une alternative valable et crédible. Ils devront mettre de côté leur égo, leur rivalité d’antan et leurs calculs politiques individualistes. D’autre part, l’impact dépendra de la réaction du pouvoir en place qui fait la sourde oreille tout en s’enfonçant davantage dans ses dérives autocratiques et totalitaires.
L’opposition actuelle représente-t-elle une alternance ?
Malheureusement, l’opposition parlementaire et extraparlementaire semble être dispersée et n’arrive pas à accorder leurs violons pour un ralliement patriotique nationale. Le PTr annonce la date du 12 août pour une marche sans une consultation officielle avec les autres partis y compris l’Entente de l’Espoir qui réunit le MMM, le PMSD, le RM et le RP. Le PTr voit d’un mauvais œil le Rassemblement Mauricien et le Reform Party qui peuvent représenter une menace pour la dynastie Ramgoolam. Le MMM n’arrive pas à comprendre l’absence de communication de la part du PTr concernant la date et l’organisation de la marche. Bruneau Laurette s’est lui aussi ravisé sur sa marche du 7 août. Cette mésentente entre les partis de l’opposition fait définitivement le jeu du gouvernement.
Quid de l’objectif de la marche en lui-même ?
On est plutôt mal parti si l’objectif principal de cette marche de protestation est de faire partir le gouvernement actuel le plus vite possible pour ensuite décider des actions futures. Sans un accord sincère et bien ancré, et une feuille de route bien explicitée au préalable pour des changements structurels en profondeur, on risque d’être entraîné dans l’anarchie et le chaos total.
Estimez-vous que cette éventuelle marche ainsi que les activités prévues par l’opposition durant les vacances parlementaires constitueront un vrai test de popularité avant les municipales ?
Si le regroupement de l’opposition se fait sur une base sincère, transparente et sans arrière-pensée, il est très probable que les manœuvres prévues constitueront un vrai test de popularité avant les municipales. Mais, il faut aussi compter avec les tractations de la « Kwizinn » qui ne lésinera pas sur les moyens pour mettre des bâtons dans les roues en utilisant à fond le clientélisme politique, le « money politics », les « dirty tricks », le communalisme, le favoritisme etc., pour faire chuter la balance en sa faveur.
Quel peut être l’impact d’une entrée de Sherry Singh dans l’arène politique ?
En renonçant à son poste de CEO, en s’attaquant frontalement au PM et en soutenant ses allégations avec des preuves indiscutables, Sherry Singh a acquis non seulement le support des leaders politiques mais aussi d’une grande partie de la population. Il pourrait être une « nuisance value » considérable pour le gouvernement, car il a été, dit-on, le chef de la « kwizinn » ; il en connaît bien le rouage et les secrets. Il a pris son bâton de pèlerin pour convaincre les leaders politiques de la nécessité d’unification de toutes les forces de l’opposition y compris les mouvements citoyens et les ONG. Sa tâche sera très laborieuse avec une opposition aussi désunie. Mais, il a aussi ses faiblesses que le pouvoir viendra bientôt étaler en public pour le discréditer.
La démocratie n’existe que le jour du scrutin»
Face aux récentes controverses qui ont secoué le pays dont les allégations de sniffing, comment jugez-vous la stratégie de communication du GM vis-à-vis de la population ?
Elle est pathétique et déplorable ! Au tout début des allégations de sniffing, le PM avait nié avoir donné des ordres par téléphone au CEO de MT et ni même de lui avoir parlé pour finir par avouer qu’il avait bien passé un coup de fil à l’ex-CEO le 14 avril, soit à la veille de la visite des Indiens. Le PM parle de « survey » dans les lettres (du 21 octobre et du 22 décembre 2021) adressées au CTO de MT, mais ces lettres, rendues publiques le 19 juillet par Xavier-Luc Duval, ne mentionnent pas de « survey » mais d’une demande d’information.
Le 19 juillet au Parlement, le PM soutient qu’« il n’existe pas de rapport» en parlant d’une lettre, datée du 2 juillet, dans laquelle l’ex-CTO semble dire qu’il n’y a eu aucun « sniffing » le 15 avril à Baie-du-Jacotet. Le Mauricien le 18 juillet, à la veille de la PNQ, avait publié la lettre qui ne semble pas être un rapport technique et qui n’a pas été rédigé sur un papier à en-tête de MT. Au Parlement, à une question d’Osman Mahomed, le PM nie encore une fois l’existence d’un autre rapport, parlant de « hearsay evidence », et réfère le député à la police. Le 22 juillet, ce rapport en date du 12 juillet est publié lors de la deuxième interview de Sherry Singh sur Radio Plus. Ce rapport affirme qu’il y a bien eu « sniffing » et même de «data capture ». À toutes ces révélations, le PM n’a fait que répéter « atan ou pou conné ».
Quelles sont les répercussions de telles controverses sur le « mood » des Mauriciens ?
Les Mauriciens sont désorientés. Déjà en 2020, la perte de confiance chez les citoyens avait débouché sur les manifestations de rue à Port-Louis le 29 août et à Mahébourg le 12 septembre réunissant des centaines de milliers de participants pour réclamer un changement de régime. Avec les récentes tractations malsaines du pouvoir, les nombreux scandales qui s’accumulent et les crises économiques, sociales et institutionnelles, les Mauriciens sont arrivés au bout du rouleau. Le dernier scandale en date est le retour de veste symptomatique de l’ex-CTO de MT qui a subitement décidé de renoncer à ses principes, ses valeurs et sa dignité pour prendre un poste inexistant et taillé sur mesure spécialement pour lui. A-t-il touché le pactole comme d’autres l’ont fait avant lui ?
Selon le dernier rapport d’Afrobarometer, le sentiment qu’ont les Mauriciens sur la démocratie dans leur pays est en très fort recul. Partagez-vous un tel sentiment aussi ?
La démocratie est un régime politique où le peuple détient le pouvoir de façon collective. Malheureusement, ce n’est nullement le cas à Maurice. La démocratie n’existe que le jour du scrutin ; ensuite les citoyens deviennent des spectateurs impuissants pendant les cinq années qui suivent. Le peuple doit subir toutes les caprices d’un petit groupe qui fait la pluie et le beau temps tout en s’enrichissant avec l’argent des contribuables et en mettant en péril l’avenir des générations futures. La politique locale est basée sur le mensonge, la trahison, l’hypocrisie, l’égoïsme, les magouilles, la démagogie, le communalisme et le transfugisme qui sont l’antithèse de la démocratie. Comment peut-on parler de démocratie quand la constitution et certaines lois ne garantissent pas cette démocratie ; quand il y a une mainmise de l’exécutif sur les institutions publiques, supposément indépendantes, mais qui sont dirigées par des nominés politiques souvent incompétents ; quand tout est fait au Parlement pour museler l’opposition ; quand les médias et la presse sont persécutées ; quand les citoyens ne peuvent pas revendiquer leurs droits sous peine d’être arrêtés et jetés en prison ; quand on n’a pas droit à une télévision privée indépendante; quand l’opacité, l’impunité, la corruption, la mauvaise gouvernance, le gaspillage, la justice à deux vitesses, etc. deviennent la norme.