En visite à Maurice, Muneer Abduroaf, avocat et professeur associé à l’université du Western Cape, en Afrique du Sud, a bienveillamment accepté de répondre à nos questions. Outre ses qualifications dans le domaine du droit, il a aussi fait des études de Charia.
Comment intégrez-vous votre expertise en droit sud-africain et en droit de la charia dans votre enseignement et vos recherches ?
Ma thèse de doctorat portait sur l’impact du droit sud-africain sur le droit islamique des successions. J’enseigne le droit islamique des successions aux étudiants de dernière année en Islamic Law à l’International Peace College South Africa (IPSA) au Cap. Mon domaine de recherche actuel se concentre sur l’application du droit islamique des successions dans divers pays à travers le monde, notamment à Singapour, en Inde, à Maurice et en Tanzanie. Ce projet de recherche est également enregistré auprès du comité du Sénat de l’université du Western Cape. Plus précisément, je me concentre sur les lois appliquées dans des juridictions où les constitutions garantissent le droit à la religion, et je les compare avec des juridictions où ce droit n’est pas reconnu.
Comment conciliez-vous vos qualifications diverses et votre expérience en tant qu’avocat et universitaire ?
Je suis un praticien juridique inscrit auprès du Legal Practice Council et je suis admis en tant qu’avocat auprès de la Haute Cour. Je rencontre très souvent des clients et les aide à trouver des solutions à des questions complexes concernant la planification successorale dans un pays où les musulmans sont minoritaires, comme l’Afrique du Sud. Cela inclut la gestion des questions d’héritage concernant les enfants adoptés et les enfants nés hors mariage, selon le droit islamique et dans le cadre juridique sud-africain. J’utilise mon expérience pour expliquer à mes étudiants ce qui se passe concrètement dans la pratique, tout en respectant la confidentialité des noms. La pratique me donne également un aperçu de l’application réelle des lois.
En tant que Rights Commissioner de la Cultural, Religious and Linguistic (CRL) Rights Commission, quels sont les défis que vous rencontrez dans la promotion et la protection des droits culturels, religieux et linguistiques en Afrique du Sud ?
J’ai été nommé Rights Commissioner de la CRL pour la période 2019-2024. J’ai été sélectionné pour servir au sein de l’unité des services juridiques et de la résolution des conflits, au sein de la commission. Cette unité s’occupe principalement des affaires concernant les violations des droits culturels, religieux et/ou linguistiques dans le contexte sud-africain. Les défis auxquels nous, en tant que commissaires, étions confrontés venaient du fait que les parties avec lesquelles nous travaillions (surtout les défendeurs) n’étaient pas conscientes des droits constitutionnels accordés aux groupes culturels, religieux et/ou linguistiques. Une fois ces droits clarifiés, nous constatons que le processus de résolution des conflits se déroule beaucoup plus facilement.
Comment gérez-vous les conflits entre les pratiques culturelles ou religieuses et les principes constitutionnels ?
L’unité fonctionne en équipe. Nous suivons une procédure de résolution des conflits, basée sur un manuel approuvé par la séance plénière de la commission. Notre approche a toujours été de trouver un terrain d’entente et d’utiliser le « compromis » comme outil pour résoudre le conflit. Nous avons constaté qu’une fois que les parties s’engagent dans la discussion, nous parvenons à résoudre des conflits en quelques heures, sachant bien que ces conflits existaient parfois depuis des années. Dans le cas où un compromis ne peut être atteint, nous utilisons alors nos pouvoirs pour formuler une recommandation contraignante.
Utiliser le compromis comme outil pour résoudre les conflits…»
Parlez-nous de votre rôle en tant que Marriage Officer.
J’ai été nommé officier d’État civil en vertu de la Loi sur le mariage No 25 de 1961. Cette loi ne s’applique qu’aux couples de sexe opposé. Bien qu’il soit possible de marier des personnes du même sexe en Afrique du Sud, je n’ai pas la juridiction pour le faire. Cependant, j’aide de nombreux couples musulmans à célébrer leur mariage civil après avoir également conclu leur mariage religieux. J’assiste également ces couples dans la rédaction de leurs contrats de mariage conformément au droit islamique.
Compte tenu de votre expertise en théorie constitutionnelle, quelles sont vos réflexions sur les défis constitutionnels actuels auxquels l’Afrique du Sud est confrontée ?
La question est assez vaste. Cependant, je dirais que la Constitution sud-africaine est l’une des meilleures du monde, sur le papier. Je dis « sur le papier », car beaucoup n’ont pas les ressources financières pour faire valoir leurs droits sur la base des principes constitutionnels. Il est également à noter que, bien que la Constitution sud-africaine garantisse certaines libertés, ces libertés doivent être cohérentes avec d’autres dispositions constitutionnelles. Par exemple, un testament islamique stipulant que le fils hérite du double de la part de la fille en raison du sexe pourrait être contesté sur des bases constitutionnelles, en invoquant une discrimination injuste envers les femmes. Bien que la contestation soit théoriquement possible, aucune n’a été faite à ce jour. Si les testaments islamiques sont jugés inconstitutionnels, les érudits islamiques devront s’asseoir avec des universitaires en droit pour trouver une solution viable à la situation dans laquelle se trouvent les musulmans sud-africains. Les options qui devraient être explorées incluraient la mise en place de ‘Trusts’ et la distribution des biens avant le décès.
Comment envisagez-vous l’avenir de l’enseignement juridique, en particulier dans le contexte de la mondialisation et de l’intersection croissante des différents systèmes juridiques ?
Je pense que l’enseignement juridique évolue considérablement. Cela inclut l’introduction de l’intelligence artificielle (IA). Il sera nécessaire d’équiper les étudiants de compétences sur l’utilisation éthique de l’IA. En ce qui concerne la mondialisation et l’intersection des différents systèmes juridiques, il semble y avoir une tendance à accorder plus de valeur au droit international. Toutefois, en ce qui concerne l’Afrique du Sud, nous pouvons envisager le droit étranger et devons prendre en compte le droit international. Il appartient au législateur d’incorporer ces lois dans le système juridique local. Il appartient également aux tribunaux de décider de l’importance à accorder à ces lois et de développer le droit commun à travers leurs jugements. Si cela n’est pas fait, le statu quo pourrait simplement rester inchangé.
Quels conseils donneriez-vous aux étudiants en droit ?
Je leur conseillerais qu’il y a beaucoup de travail qui les attend. De plus, ce travail ne sera peut-être pas très rentable financièrement, mais il leur donnera un sentiment d’appartenance et la satisfaction de savoir qu’ils font une différence. Dans le contexte sud-africain, si la campagne anti-apartheid n’avait pas eu lieu dans un esprit d’altruisme, nous ne pourrions peut-être pas jouir de nombreuses libertés et privilèges que nous avons aujourd’hui.
Bio
Le Professeur Muneer Abduroaf est Associate Professor à l’Université du Western Cape, au Département de droit privé, Afrique du Sud. Il est à la fois avocat admis au barreau et traducteur assermenté auprès de la Haute Cour d’Afrique du Sud. Il est également officier d’état civil pour le ministère de l’Intérieur sud-africain.
Les qualifications académiques du Professeur Muneer Abduroaf incluent un doctorat en droit en théorie constitutionnelle, un master en droit en droit international, une licence en droit sud-africain, et une licence en droit de la charia de l’université islamique de Madinah.