C’est le mois du Coran, par excellence. D’ailleurs, nous jeûnons parce que c’est en ce mois que fut descendu le Coran.
Une guidance pour l’humanité, avec des preuves claires de cette guidance et un discernement qui nous permet de suivre la voie droite. Les nuits du Ramadan sont celles où la récitation du Livre se fait dans les mosquées. Comme jamais auparavant, aujourd’hui, il y a de plus en plus de récitants du Coran provenant de l’étranger, qui dirigent le ‘Taraweeh’. Qu’ils sachent qu’ils sont les bienvenus et que nous serions heureux de voir, également, des locaux qui ont les mêmes compétences agir comme imams pour ces prières du soir. Malheureusement, c’est de moins en moins le cas…
Hafidh et qari
Un hafidh est celui qui tient le Coran dans son cœur, protégé par la mémorisation. C’est un miracle que nous n’apprécions pas suffisamment. Pire, les hufadh (pluriel de hafidh) du pays n’ont souvent pas le respect, l’accompagnement et l’appui qu’ils méritent. Nous admirons quelqu’un qui a un PhD, en n’importe quoi, alors que le hafidh qui a donné tant d’années à réaliser un exploit infiniment plus grand est ignoré.
Avec pour conséquence, s’il n’arrive pas à trouver un poste permanent et décent d’imam ou d’enseignant, il risque de devoir faire autre chose pour subvenir aux besoins de sa famille. Combien de hufadh ne voyons-nous pas qui sont aujourd’hui en situation précaire, certains devant même vivre de la charité ? Ils sont des êtres humains, et s’ils ne révisent pas régulièrement, la mémorisation s’efface. Ce qui est extrêmement grave.
Tout hafidh n’est pas aussi nécessairement un bon qari, celui qui est doué dans la psalmodie du Coran comme il se doit, avec une belle voix qui attire les gens. Il peut arriver à un qari de ne pas connaître tout le Coran par cœur, mais il est très souvent le bienvenu parce qu’il a une prestation qui soulève les cœurs, qui fait sortir ceux qui écoutent de leur fatigue et de leur torpeur, qui réveille les âmes et fait verser des larmes, même lorsque la langue arabe n’est pas comprise.
La plupart des mosquées cherchent naturellement à avoir un qari qui attirera ainsi les croyants, bien sûr, de préférence lorsqu’il est aussi un hafidh. Car, compléter tout le Coran pendant le Ramadan est un objectif plus que souhaitable. Est-ce une compétition, et si oui, est-elle saine ? Dieu Seul saura juger, car Il connaît parfaitement nos intentions. Se rivaliser dans le bien est une bonne chose, mais alors il faudra aussi penser à valoriser autrement les locaux. Ces derniers ne doivent pas être réduits au statut de ceux qui récitent le Coran en toute vitesse, sans faire aimer Le Livre à ceux qui l’entendent.
Solutions possibles
1. D’abord, pourquoi ne pas faire de chaque qari étranger, qui est si apprécié pendant le Ramadan, un mentor pour un jeune Mauricien de sorte que dans une dizaine d’années, ou davantage s’il faut, ce dernier puisse prendre la relève ? Pendant ce temps, il faudra pendant les 11 autres mois de l’année s’assurer que le jeune puisse avoir tout ce dont il a besoin pour préserver sa mémorisation, mais aussi pour perfectionner sa récitation.
2. Les compétitions au niveau national pour promouvoir les plus belles voix dans la lecture coranique sont aussi rares de nos jours. Il faut détecter les talents et les encourager à aller plus loin. Imaginons, surtout à l’heure des réseaux sociaux et des radios/télévisions de notre temps, des concours qui pourront attirer les jeunes, et les moins jeunes vers le Coran.
3. Le Centre Culturel Islamique pourra aussi organiser des ateliers spécifiques afin d’aider à apprendre l’art de la récitation. Quid des bourses à l’intention des meilleures voix afin de se perfectionner dans les institutions de renom dans le monde ?
4. Il est aussi un fait qu’il faut tout un package de mesures afin d’intéresser les gens, surtout les jeunes, davantage au Coran. Même le meilleur qari qui nous vient de l’étranger ne pourra pas faire grande impression s’il récite dans une salle où la sonorisation est désastreuse, la chaleur infernale et l’humidité étouffante. Sans mentionner les bruits et autres sources de distraction. Aujourd’hui, l’acoustique d’une mosquée est un facteur à ne pas ignorer. La bonne climatisation, naturelle afin d’être durable, doit être une priorité à l’intérieur du lieu. Des fois, les ventilateurs sont mal disposés et interfèrent avec le son. Il faut donc penser à accorder le même encadrement et créer le même environnement dans les mosquées pendant toute l’année.
5. Certes, l’atmosphère de ce mois béni de Ramadan ne peut être stimulée artificiellement pendant le reste de l’année, mais il faut motiver les récitants locaux par l’organisation d’événements où ils pourront se mettre en valeur dans des conditions idéales. Imaginons une compétition avant Ramadan pour désigner le meilleur qari local qui aura le privilège de diriger le Taraweeh, avec non seulement des récompenses, mais aussi une reconnaissance de son calibre comme motivation additionnelle.
Conclusion
Un rappel, si c’est nécessaire, qu’il n’y a pas la forme qui compte. Lire le Coran pour plaire aux autres est un péché grave, l’intention devant être pour Dieu uniquement. À ceux qui écoutent, même si la beauté du Coran est sans pareille, il ne faut pas en faire un spectacle artistique comme s’il s’agissait de la poésie ou de la musique. D’où la place de la compréhension de la récitation.
Pendant le mois de Ramadan, les récitants qui sont choisis ont un avantage considérable. Non seulement l’audience est acquise à un devoir religieux, mais elle fait l’effort de vouloir comprendre ce qui est récité. Tant de gens passent leur temps à lire les textes qui traduisent le sens du Coran, sinon étudient même les commentaires des versets qu’ils entendent durant ces nuits de Ramadan. Il ne faut pas perdre en vue la finalité du Livre : guider l’humanité.
Terminons en citant cet extrait de Sahih Bukhari rapporté par Alqama, d’origine irakienne et connue pour sa récitation, qui montre que ce que nous vivons en guise de ‘compétition’ n’est pas nouveau. Et certainement pas un problème en soi. Nous y voyons la pertinence de la formation des jeunes, le rôle essentiel d’un mentor, et même un soupçon de fierté légitime que celui qui surpasse les autres appartienne à telle ou telle nation. N’est-il pas dit que c’est là une des deux choses où la jalousie est légitime…
Nous étions assis avec Ibn Mas’ud quand Khabbab est venu et a dit : « O Abu ‘Abdur-Rahman ! Ces jeunes gens peuvent-ils réciter le Coran comme vous le faites ? » Ibn Mas’ud a dit: « Si vous le souhaitez, je peux ordonner à l’un d’eux de réciter (le Coran) pour vous. » Khabbab a répondu: « Oui. » Ibn Mas`ud a dit: « Récite, O ‘Alqama! » Sur ce, Zaid bin Hudair, le frère de Ziyad bin Hudair a dit, (à Ibn Mas’ud), « Pourquoi avez-vous ordonné à ‘Alqama de réciter alors qu’il ne récite pas mieux que nous? » Ibn Mas’ud a dit: « Si vous le souhaitez, je vous dirai ce que le Prophète (saw) a dit à propos de votre nation et de sa nation (c’est-à-dire celle d’Alqama). » Alors j’ai récité cinquante versets de Sura-Maryam. ‘Abdullah (bin Mas’ud) a dit à Khabbab: « Que pensez-vous (de la récitation de ‘Alqama)? » Khabbab a dit: « Il a bien récité. » ‘Abdullah a dit: « Tout ce que je récite, ‘Alqama le récite. »
Par PROF. KHALIL ELAHEE