Friday , 29 March 2024

Face aux taux alarmant de divorces : consensus autour d’une formation obligatoire avant le Nikah

En 2021, un mariage sur trois s’est soldé par un divorce à Maurice. C’est ce qui ressort des chiffres fournis par Statistics Mauritius. Une tendance nationale, certes, mais qui n’épargne pas la communauté musulmane. Face à ce phénomène aussi bien inquiétant que grandissant, faut-il une formation obligatoire avant le Nikah de sorte à mieux préparer les futurs couples à une nouvelle vie à deux ? C’est le dossier de ce dimanche.

Constat

Maulana Shamim Khodadin

Le prêcheur Zayd Imamane juge la situation au sein des couples alarmante et tire la sonnette d’alarme. « Pour vous donner une idée, dans l’un des derniers cas en date, un garçon et une fille se sont mariés en octobre pour se séparer en décembre, soit deux mois à peine plus tard », fait-il ressortir. Pourtant, ajoute le prêcheur, les deux sont issus de familles « pratiquantes ». Ce qui l’amène à dire que le problème n’est pas forcément d’ordre spirituel mais sociétal. « Pour vous dire que même ceux qui font les 5 prières quotidiennes et celles qui portent le hijab ne sont pas épargnés par ce phénomène », dit-il.

Selon lui, de nombreux jeunes ne mesurent pas les véritables implications d’un mariage, estimant souvent que celui-ci se résume au sexe. « Or, le mariage est accompagné de lourdes responsabilités, avec ses hauts et ses bas et impliquant une cohabitation qui peut durer jusqu’à une soixantaine d’années  », poursuit-il.

Le Maulana Shamim Khodadin parle lui d’un constat « accablant et réel ». Selon lui, les mariages célébrés apportent malheureusement leur lot de divorces. « Et ce phénomène ne montre aucun signe d’affaiblissement. Bien au contraire, le nombre de divorce est en hausse », est-il d’avis.

Les problèmes au sein des couples aujourd’hui, selon le Maulana Shamim Khodadin, n’épargnent personne. « Que vous soyez riche, pauvre ou de la classe moyenne, ce phénomène touche tout le monde », affirme-t-il. Notre interlocuteur se désole que les mariages ont tendance à être célébrés de plus en plus avec faste. « Mais après le mariage, la réalité est tout autre, menant parfois, malheureusement, au divorce », dit-il

Les causes

Manque de responsabilités

Selon Zayd Imamane, le sens de responsabilité s’effrite peu à peu avec les nouvelles générations. Il impute cela aux facilités auxquelles les jeunes ont de plus en plus accès. « Depuis tout petit, on a tendance à obtenir ce qu’on veut sans avoir à fournir trop d’effort. Mais sans se rendre compte, cette facilité à obtenir les choses nous fait devenir de moins en moins responsables. Ainsi, lorsqu’un couple rencontre des difficultés, il est plus facile de se séparer et trouver quelqu’un d’autre que de faire l’effort de surmonter la situation ensemble », dit-il.

Manque de tolérance

Zayd Imamane

Zayd Imamane indique que Muhammad (pssl) a dit que lorsqu’une femme fait quelque chose que son mari n’aime pas, ce dernier doit se rappeler de toutes les autres bonnes choses que fait son épouse et qu’il apprécie. Ce qui l’amène à dire que la tolérance est nécessaire au sein du couple. « Il faut se dire que je vais faire ma vie avec quelqu’un qui a grandi dans un cadre et un environnement différent du mien avec une éducation différente. Suis-je prêt à accepter cela ? » demande-t-il.

Moins de partage

Le prêcheur Zayd Imamane considère que les gens ont tendance à être de plus en plus individualistes, souvent trop centrés sur soi. « Souvent, des hommes préfèrent sortir avec leurs amis que leur épouse. Les repas se prennent aussi chacun de son côté. Saken manz so ler. Ce qui ne favorise pas le dialogue, le partage, les moments privilégiés passés ensemble. Saken pe fer so laroute », dit-il.

Ingérence des beaux-parents

Le Mufti Mackoojee estime qu’à ses débuts, un couple reste fragile et vulnérable. Il trouve regrettable que certains beaux-parents viennent s’immiscer dans le ménage du nouveau couple, faisant parfois plus de tort que de bien. « Sans compter que des beaux-parents interfèrent souvent selon l’avantage de leur fils ou de leur fille. Ce n’est pas bon pour la santé du couple », prévient-il.

Donner trois « talâq  »

Selon le Mufti Mackoojee, il arrive, parfois, que dans un excès de colère, l’époux prononce les trois talâq d’un coup, sans en mesurer les conséquences. « Certains hommes veulent parfois revenir sur leur position mais aux yeux du Créateur, les deux personnes ne sont plus en couple », se désole notre interlocuteur.

Les réseaux sociaux

Le Maulana Shamim Khodadin pointe du doigt l’impact des réseaux sociaux sur les couples. « Les hommes donnent parfois, à tort, trop de liberté à leur épouse et à travers l’utilisation excessive des réseaux sociaux tels que Facebook, WhatsApp, TikTok Snapchat et autres, cela peut engendrer des problèmes dans le couple menant parfois au divorce », dit-il.

Trop jeunes

La mixité entre les garçons est les filles dès leur jeune âge serait aussi l’une des causes de divorce, à en croire le Maulana Shamim Khodadin. « Des jeunes tombent amoureux et veulent se marier sans savoir ce qui les attend après le mariage. Lorsque la réalité les rattrape, ils réalisent que ce n’est pas ce à quoi ils s’attendaient », dit-il.

Quitter le nid familial trop tôt

Le Maulana Shamim Khodadin est d’avis que des jeunes couples ont tort de vouloir vivre séparément de leur parent dès leur mariage. Or, face au manque d’expérience, il estime que ces couples gagneraient à profiter de l’expérience et de la sagesse des parents qui, souligne-t-il, seront utiles surtout lorsque le couple rencontrera des difficultés.

La nécessité et les avantages d’une formation avant le Nikah

Pour le Mufti Mackoojee, tout « ibaadat » nécessite une formation. Il cite l’exemple d’un enfant qui devra établir les 5 prières quotidiennes une fois qu’il atteindra l’âge de puberté ou encore celui ou celle qui se rend à la Mecque pour le pèlerinage. C’est le cas aussi, dit-il, pour le mariage.

Car, selon le prêcheur, le mariage réunit deux personnes qui, souvent, ont grandi dans des cadres et environnements différents où l’éducation diffère parfois d’une famille à une autre. « Une fois en couple, ces deux personnes, malgré leur différence, doivent cohabiter », rappelle-t-il.

Aussi, le Mufti Mackoojee estime qu’il est de la responsabilité des personnes qui vont se marier que d’aller chercher la connaissance nécessaire et la mettre en pratique afin que cette relation puisse fonctionner convenablement. « D’un côté, il y a un hadith qui dit que c’est une obligation sur chaque musulman(e) que de chercher la connaissance. De l’autre, s’adressant spécifiquement aux hommes, le prophète Muhammad (pssl) leur demande d’éprouver de la frayeur d’Allah à propos des femmes qui sont des « amaanat » entre leurs mains. Il faut donc les traiter convenablement au risque d’attirer la colère du Créateur », met-il en garde.

Apprentissage d’un mode de vie

Pour Zayd Imamane, il est important pour des futurs mariés de prendre connaissance des responsabilités qu’ils seront appelés à assumer envers leur conjoint mais aussi envers leur entourage. D’où la nécessité d’une formation qui est différent de ce que les jeunes apprennent à la madrassah. « À la madrassah, l’apprentissage est plus spirituel et individuel : comment accomplir la swalaat, comment lire le Qur’aan, etc. Or, dans le cas d’un mariage, on parle d’un mode de vie que je vais devoir partager avec quelqu’un d’autre. Cette formation est donc essentielle comme un rappel avant le mariage », fait-il comprendre.

Si Zayd Imamane considère qu’une telle formation n’est certes pas obligatoire dans la religion, il reste toutefois d’avis qu’au vu de la situation qui prévaut, elle est inévitable. « Surtout pour ceux qui s’apprêtent à se marier. Je ne parle pas pour tous les musulmans », précise-t-il. Pour justifier ses dires, Zayd Imamane cite l’exemple d’une des étapes importantes du Wudhou. « Il est important que lorsqu’on se lave le visage, celui-ci soit mouillé jusqu’à la racine des cheveux. Sauf que nous ne pouvons être sûrs à 100% que cette partie soit mouillée sans laver également un peu les cheveux. Sans se rendre compte, se mouiller les cheveux devient donc obligatoire », dit-il.

La clé du succès

Le maulana Shamim Khodadin, pour sa part, considère une formation avant le mariage comme la clé du succès de celui-ci. « Les jeunes n’ont pas de mal à trouver des formations pour qu’ils puissent obtenir un travail. Il est cependant regrettable que lorsqu’ils s’apprêtent à se marier, ils ne jugent pas important de s’investir pour qu’ils obtiennent une formation adéquate concernant le mariage et la vie conjugale », déplore-t-il. Selon lui, c’est justement l’absence de connaissance au niveau des responsabilités et des droits envers le conjoint qui serait la source de nombreux mariages brisés.

Selon le maulana Shamim Khodadin, il est aussi du devoir des institutions religieuses, éducatives et sociales que de venir avec de telles formations. « Il faut pouvoir imposer cette formation sur tous les jeunes qui vont se marier », tonne-t-il.

Les éléments importants de la formation

Les formateurs

Pour le Mufti Mackoojee, les personnes dispensant ces formations doivent être des Daa’i (prêcheurs) de différentes écoles de pensée qui ont l’expérience du mariage avec une session d’environ 30 minutes pour chaque intervenant. « L’objectif est que ces Daa’i puissent partager leurs connaissances, voire leur expérience en expliquant notamment comment gérer les situations du quotidien mais aussi les situations plus complexes dans le couple, dans un cadre islamique », explique-t-il.

Les modalités

Le maulana Shamim Khodadin est d’avis que ces formations devraient être d’une durée de 3 à 6 mois avec à la clé, un certificat attestant de la participation des futurs mariés. « Les Imams autorisés à officier les Nikah devraient exiger la présentation de ce certificat. Si un couple n’a pas pu participer à la formation avant le mariage, il devra le faire immédiatement après le mariage », recommende-t-il. Les thèmes de la formation devraient prendre en considération, selon le maulana, l’aspect religieux du mariage, le social, la finance, entre autres.

Droit, responsabilité et devoir

Pour le prêcheur Zayd Imamane, la formation devrait notamment s’appesantir sur les droits, les responsabilités et le devoir de chacun dans un couple mais aussi vis-à-vis de leur entourage. « Zot bizin conscient ki ca ban droit la, c’est Allah kine mett ca dans la vie maryaz. C’est pas nou ki pe vinn invente ca », dit-il.

Le divorce

Zayd Imamane estime que le divorce devrait aussi être un élément central de cette formation. « On parle du divorce que ce soit dans l’aspect légal ou religieux. Sans compter qu’il faut aussi aborder un aspect concernant les répercussions du divorce sur chacun, y compris les enfants, s’il y en a. Parce qu’on le veuille ou non, une femme divorcée est mal vue dans notre société », laisse-t-il entendre.

Beauté de la vie de couple

Les bienfaits et la beauté de la vie de couple, en se basant sur celui de Muhammad (pssl) devraient aussi être enseignés. C’est ce que souhaite Zayd Imamane. « Il faut que les jeunes sachent comment Muhammad (pssl) vivait avec ses épouses. Au moment où il avait 53 ans, Aaisha était beaucoup plus jeune. A quel point devait-il être romantique pour que Aaisha l’ait autant aimé, malgré leur différence d’âge. D’un autre côté, il est arrivé que Muhammad (pssl) n’ait pas adressé la parole à ses épouses pendant tout un mois. Kan nou trouver le prophète in passe dans tou sala, sa montrer nou ki maryaz c’est enn ‘package’, avec son bon et so moins bon », dit-il.

Nissar Ramtoola, président de la Jummah Mosque : « Nécessaire d’avoir la connaissance et la formation »

Le président de la Jummah Masjid de Port-Louis, Nissar Ramtoola, est d’avis que de nos jours et ce, dans tous les domaines, il est nécessaire d’avoir la connaissance et la formation. « L’Islam met d’ailleurs beaucoup d’importance sur la recherche de la connaissance et la formation. Alhamdulillah, depuis plusieurs années, des institutions islamiques sont en train d’organiser des cours et des formations islamiques en faveur des hommes et des femmes, tout âge confondu. Parmi les nombreux sujets abordés, il y a des explications et des formations sur la vie conjugale et les responsabilités parentales. In Sha Allah, si on met l’emphase sur l’éducation islamique et surtout si on parvient à l’appliquer dans notre vie de tous les jours, je considère que beaucoup de nos problèmes seront résolus, notamment les divorces qui, selon moi, est le résultat d’un manque d’éducation islamique. Qu’Allah nous guide tous sur l’enseignement du Saint Quran et la Sunnah de notre Bien-aimé Prophète Muhammad (pssl). Ameen », partage-t-il.

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