Un Budget 2021-2022 à la fois économique – pour remettre le pays sur les rails – et social afin d’aider ceux touchés par la crise sanitaire. C’est ce que souhaite l’économiste Dr Bhavish Jugurnath. Selon lui, la marge de manœuvre du Grand argentier est néanmoins restreinte.
Le discours budgétaire sera lu sous peu. Sous quel signe le ministre des Finances devra-t-il placer ce Budget ?
Il ne fait aucun doute que le Budget 2021-2022 devrait être placé sous le signe de la reprise. Parmi les priorités : donner une nouvelle impulsion à l’économie avec la réouverture des frontières, œuvrer en vue de sortir de la liste noire de l’Union européenne et booster l’investissement privé et la transformation des entreprises. Je m’attends également à des mesures d’accompagnement pour soutenir les industries en difficulté dans ce contexte économique post-Covid. Il devrait également y avoir des mesures pour aider au développement des secteurs émergents. Parallèlement, il faut des incitations pour le marché du travail ainsi que dans le domaine de la recherche et de l’innovation.
Dans quelle conjoncture le Grand argentier est-il appelé à faire son Grand oral ?
Il faut reconnaître que nous sommes dans un contexte très difficile où la marge du ministre des Finances est très restreinte. Le gouvernement devra être prudent, notamment concernant les dépenses courantes de l’État, tout en évitant de sombrer dans l’austérité puisqu’il faut stimuler l’économie. Cela doit être fait tout en préservant la compétitivité et l’attractivité de notre pays pour les investisseurs et les talents étrangers. D’ailleurs, le FMI recommande de poursuivre avec une « accommodative fiscal stance during the reopening phase ». La priorité pour Maurice demeure la transition vers une économie durable et inclusive avec des entreprises innovantes tournées vers l’avenir. C’est une tendance qui émerge à travers le monde.
Comment cette seconde vague de Covid-19 affectera la marge de manœuvre du ministre Padayachy ?
Certes, ce deuxième confinement affecte le monde des affaires et l’économie dans son ensemble, surtout que les effets du premier confinement sont toujours présents. Une deuxième vague est la dernière chose à laquelle les opérateurs économiques s’attendaient après près d’un an de fermeture des frontières, asphyxiant au passage les principaux secteurs autrefois essentiels à la croissance. On pense ici au tourisme, au textile, à la construction ou à l’exportation dans une certaine mesure.
Les indicateurs sont donc tous au rouge…
Pour résumer, le premier lockdown a entraîné une contraction économique de 15% du PIB couplé à des licenciements massifs à court terme. Dans le même temps, le tourisme demeure en difficulté tandis que les investissements directs étrangers ont chuté de plus de 40%. La dette publique a, elle, continué d’augmenter (60% de la dette extérieure). Pas plus tard que la semaine dernière, le ministre des Finances a indiqué que la dette publique est passée de Rs 26,45 milliards entre décembre 2020 et mars 2021 pour atteindre Rs 388,38 milliards, ce qui représente 91,3% du PIB.
Outre la Covid-19, quels sont les défis à relever pour le ministre des Finances pour pouvoir présenter un Budget à une époque pareille?
Il est impératif de revoir notre Business Model, car la Covid-19 a apporté des changements majeurs dans le comportement et les aspirations des Mauriciens. L’économie mauricienne est basée sur 15 secteurs et à l’exception des services financiers et des TIC, tous se sont contractés au cours de l’année écoulée. Mais là encore, la croissance a été très faible dans le secteur financier (1%, contre une croissance de 5 à 6% en temps normal). Celui-ci traverse une phase très critique et nous ressentons toujours les effets du changement de traité entre l’Inde et Maurice. De plus, la présence de notre juridiction sur la liste grise du GAFI n’arrange pas les choses.
La Covid-19 a apporté des changements majeurs dans le comportement et les aspirations des Mauriciens»
Par quel(s) secteur(s) passera la reprise ?
Nous n’avons pas beaucoup d’options. L’industrie hôtelière dans son ensemble et le gouvernement doivent réfléchir à un exercice de consolidation. Le modèle économique de l’industrie touristique que nous avons adopté jusqu’à présent nous a bien servis, mais le GM doit à présent voir si ce modèle peut continuer à nous être utile ou s’il doit être revu. Nous devons tout faire pour relever les défis qui se posent dans ce secteur lequel représente quand même 23% de notre PIB.
D’après vous, comment peut-on combler le manque à gagner du tourisme ?
Comme d’autres pays, l’adoption des technologies émergentes devient très importante pour la reprise économique chez nous après cette pandémie de Covid-19. De nombreuses entreprises mauriciennes ne sont qu’au premier stade de l’adoption de telles technologies, même si celles-ci représentent l’avenir et devraient être le prochain grand moteur du développement de l’industrie. Le gouvernement doit venir avec des incitations afin que Maurice puisse devenir une plaque tournante dans les technologies émergentes. La stabilité de l’emploi est la clé pour assurer la stabilité et la croissance économiques. Cela implique l’amélioration des compétences, la reconversion professionnelle et offrir aux Mauriciens les opportunités appropriées, tout en créant un environnement propice aux talents étrangers.
Selon vous, le Budget aura un caractère social ou plutôt économique?
On espère que le ministère des Finances viendra avec des propositions pour consolider la reprise économique, relancer les entreprises en difficulté et en même temps aider les personnes au bas de l’échelle sociale qui ont subi de plein fouet la deuxième vague de Covid-19. Il est impératif que le gouvernement continue à soutenir ceux affectés par la crise sanitaire. L’accent doit être mis sur l’amélioration de la qualité de vie pour tous, le rehaussement du niveau de vie des groupes vulnérables et la garantie d’une société plus inclusive. Aussi, certaines entreprises qui ont du potentiel se sont retrouvées en difficulté financière ces derniers mois set il est essentiel de leur venir en aide. Au cas contraire, nous serions confrontés à de nombreuses fermetures d’entreprises, en particulier dans le secteur des PME.
Le taux du chômage continue de grimper. Est-ce irréversible au vu de la conjoncture ?
Dans son dernier rapport sur l’emploi, Statistics a pris en considération l’impact de la pandémie qui a énormément affecté l’économie l’année dernière. Le document indique que le nombre de chômeurs s’élevait à 39 700 en 2019, alors qu’en 2020, ce chiffre est passé à 52 200. Le taux de chômage est ainsi passé de 6,7% en 2019 à 9,2% en 2020. En 2021, je pense que le taux de chômage sera être plus alarmant. En grande partie à cause du nombre d’entreprises qui ont mis la clé sous le paillasson pour des raisons économiques ou de restructuration. Les femmes sont très affectées par ce fléau, car beaucoup d’entre elles travaillent dans le textile, le tourisme ou comme employées de maison.