Une randonnée en famille a failli virer au drame, dimanche dernier, à Plaine-Champagne où Eshan Ali Deelawor et ses proches sont partis cueillir des goyaves de Chine. Récit.
Égaré dans la forêt de Plaine-Champagne durant toute la nuit du dimanche 12 juin, Eshan Deelawor, 52 ans, un habitant de Vallée-Pitot, dit avoir échappé à la mort. Il a été retrouvé, sain et sauf, le lendemain matin au lever du jour par Umar Delbar qui s’y connaît en techniques de survie en forêt. Nous nous sommes rendus au domicile du rescapé pour qu’il nous raconte sa mésaventure. Les traits tirés, le quinquagénaire semble être encore sous le choc. En présence de son épouse, de sa fille et de sa belle-sœur, il nous fixe du regard et dit : « quelles que soient les circonstances, il ne faut jamais désespérer et il faut faire preuve d’une grande foi envers Allah. »
Eshan Deelawor raconte que sa famille a l’habitude d’organiser des randonnées et aime particulièrement la cueillette de goyaves de Chine à Plaine-Champagne. Dimanche dernier, ils étaient environ une vingtaine et il y régnait une ambiance festive au sein du groupe. Il était 15h30 quand ils sont arrivés à Plaine-Champagne où beaucoup d’autres Mauriciens étaient venus en famille cueillir des goyaves. Au moment de la cueillette, Eshan Deelawor était accompagné de sa fille Wazifa. Son épouse et tous les autres étaient plus en retrait. « Nou pa fin rentre dan fond, nou ti pré ar ene sentier », laisse-t-il entendre.
Pluie et brouillard
Vers 17h30, Wazifa décide de rejoindre les autres membres de la famille et en informe son père. « Mo rapel mone dir Wazifa ale touzour, mo pou vin zuen zot la », poursuit-il. Mais tout ne se passe pas comme prévu. Quand Eshan Deelawor décide de regagner son véhicule qui était garé à 200 mètres, il ressent comme «une force étrange et mystérieuse» qui l’attire dans la forêt. Sans se rendre compte, il se laisse emporter dans l’épaisse forêt déjà envahie par l’obscurité à cette heure. Comme il pleuvait, sa visibilité était réduite et le brouillard l’empêchait de voir plus loin que dix mètres. Il réalise alors qu’il s’est égaré. Pris de panique, il tente de retrouver son chemin tout en gardant l’espoir que ses proches vont venir le secourir.
Entre-temps, les autres membres de la famille qui étaient sur l’aire de stationnement commencent à se faire du souci. Waeza, son épouse, les larmes aux yeux, demande aux hommes du groupe de partir à la recherche d’Eshan. Elle avertit aussi la police de Grand-Bassin. « Environ dix misie in ale rod li dan lapli ek brouyar. Zot in coumens crier li mé person pan tan li repon », raconte Waeza. Eshan Deelawor confie qu’il s’est rendu compte qu’il était très loin de la route et il s’est résolu à passer la nuit en pleine forêt sans couverture et sans nourriture. « Sa momen la mo fin pense Allah ek mone krier nom mo tifi Wazifa », laisse-t-il entendre.
Des djinns
Perdu au fin fond de la forêt et à bout de force, Eshan Deelawor trouve un grand arbre creux avec une énorme cavité dans le tronc. « Mo fine rentre dan tronc la ek mo fine casiet fraiserr. Etan mo ti pe rod mo simé pou sorti, mo fin ramas ene bon pardessi amba dan la foret. Mone met li akoz ti ena tro lapli ek ti pe fer fré », raconte-t-il. Sans téléphone ni montre, il avait également perdu toute notion du temps mais selon ses dires, il aurait marché des heures durant avant de trouver l’arbre creux dans lequel il s’est abrité. Alors qu’il s’était accroupi dans la cavité, il entend des pas s’approcher vers lui. « Mo lev latet, mo trouve ene djinn figure deformé ek kuma ene zom pe vin ver mwa », dit-il.
Eshan Deelawor commence à réciter à haute voix des dhikr et des duas, et il s’agenouille pour accomplir la salât. « Mo dir Allah si to pou pren mo la vie, pren li devan mo fami. Pa pren mwa dan la foret », poursuit-il. Il sursaute en entendant la voix d’une femme. « Mo trouv deux madame figir diformer, pena leden pe vin devan mwa. Mone fini koner ki ce ban mauvais djinns ek ki ce zot mem kin risse mwa dan la foret boner. » Notre interlocuteur avoue avoir pensé à la mort à cet instant et il a commencé à implorer le pardon du Créateur. « Mone fer Astaghfar ek mone lire surah Yaseen, quatre Qul ek ban lezot duas ki mo abitier lir tou le zour », fait-il ressortir avec une vive émotion.
En outre, au milieu de la nuit, il raconte avoir entendu des cris, des pleurs et des gémissements à glacer le sang. Quelques singes se déplaçaient sur les branches et étaient peut-être curieux de la présence de cet étranger au milieu de leur habitat. « Mo ti pe soif, mo lagorz ti sek. Mo fine passe mo lamé lor feuille pou boire delo lapli », se souvient-il. Quelques heures plus tard, il aperçoit les premières lueurs du jour qui dissipent le brouillard et il comprend que c’est l’heure de la salât-ul Fajr. Il accomplit la prière en grelottant et sa jambe lui fait terriblement mal. « Mone siplier Allah pou li avoy ene dimoune aide moi ek apré ki mone akomplir namaz Fajr, mone recoumens marsé pou rod mo simé. »
Umar Delbar, le sauveur
Pendant ce temps, les recherches ont repris au lever du jour par la famille. Les dames sont restées éveillées toute la nuit cloitrées dans le véhicule d’Eshan et d’autres voitures sur l’aire de stationnement. « Maulana Juneid ti don nou ene Wazifa pou lir ek zot tou ti pe lir pou retrouv mo bolom. Ene Kalou, Ali Hidayat, in mem done Adhân quatre kote dan Plaine-Champagne pou repousse ban mauvais kitsoz ki reste dans la foret », confie l’épouse d’Eshan. À l’aube, Eshan Deelawor entend une voix crier son nom au loin. À trois reprises, il crie à tue-tête et entend la voix, qui ne lui est pourtant pas familière, se rapprocher davantage.
« Mo trouve ene dimoune ki mo pa koner dir mwa ki Allah fin don li lordre pou vin sers mwa », ajoute Eshan. Il était à 500 mètres du sentier et son sauveur, Umar Delbar, l’a serré dans ses bras et lui a donné à boire. « Lin don mwa inpe dite pir bien so pou resof mwa. Bhai Umar fin plorer ek li dir mwa ki zame li ti pou croir pou gagne mwa vivan. Lin guide mwa facilement ver la route », conclut-il. Très vite, la nouvelle s’est répandue et tous les membres de la famille présents à Plaine-Champagne sont venus serrer Eshan dans leurs bras.
Waeza Deelawor, l’épouse d’Eshan : «Merci à la famille»
« Ce n’était pas facile de vivre de tels moments. Heureusement que nous sommes une famille soudée. Mon oncle Wahab avait téléphoné à Maulana Juneid pour lui demander son aide et il nous a donné un dua à réciter toute la nuit. La police et la SSU étaient présentes toute la nuit. Le député Ehsan Juman a fait des démarches auprès du Commissaire de police pour les recherches. Reza Saumtally avait lui offert d’envoyer une vingtaine de drones au lever du jour tandis que ma nièce Farzana Uteene a fait appel à Umar Delbar pour les recherches. Je remercie Allah en premier et toute la famille. »
Umar Delbar : «Je maîtrise les techniques de recherche»
« Quand je suis arrivé avec un ami, j’ai rencontré le cousin d’Eshan et sa nièce qui m’ont indiqué l’endroit où il avait été vu pour la dernière fois. Après un kilomètre de marche dans la forêt, j’ai crié son nom et il a répondu assez faiblement. J’ai crié encore une fois et je l’ai vu à quelques mètres. Son visage était pâle sans doute par le froid. Heureusement que je maîtrise les techniques de recherche. ‘Mone dir li Allah fine envoye mwa pou vine cherche ou ek mo pou amène ou kot ou fami’. »
Yasmine, la belle-soeur d’Eshan : «Mo garson fine trouve trois Eshan dans la forêt»
« Mes deux fils Ibné et Zurkarnain sont venus nous rejoindre pour faire des recherches dans la nuit. À l’aide d’une corde, ils sont descendus le long d’une pente. ‘A ene moment, mo garson Ibné fine trouve trois Eshan devant li et li fine paniké ek mo lot garson fin tire li pou amene li lors chemin’. On lui a alors fait comprendre que c’était un djinn qui avait pris l’apparence d’Eshan. »