Autrefois, nombreux étaient ces jeunes qui furent contraints d’abandonner leurs études à la fin du cycle primaire. Comme la plupart des familles étaient pauvres, elles ne pouvaient payer les frais d’écolage de leurs enfants. Ainsi, acheter toutes les fournitures scolaires relevait d’un parcours de combattant.
En ce temps-là, j’étais élève du collège Bhujoharry. En effet, à peine quelques semaines après mon admission au sein de cet établissement scolaire qui s’était bâti une réputation déjà, notre prof de mathématiques ne cessait de nous dire qu’en sus de livres, il fallait aussi acheter une boîte de compas. Je me souviens toujours que la boîte de compas figurait aussi au bas de la liste de manuels pour l’année scolaire en cours. D’ailleurs et cela est bien connu, outre le compas, elle contient également la règle, l’équerre, le rapporteur d’angle qui sont des instruments à utiliser pour faire la géométrie.
Il faut savoir qu’à l’époque, la plupart des jeunes en première année du cycle secondaire n’avaient pas encore leurs livres de géométrie, d’algèbre et d’arithmétique. Les parents achetaient un livre à la fois et bien sûr nous promettaient de faire l’acquisition de deux autres plus tard. Comme quoi, la boîte de compas était perçue comme un accessoire qui pourrait attendre. D’autant qu’ils étaient nombreux ces parents qui avaient de vrais soucis pour subvenir aux besoins de la famille, ne serait-ce que pour faire bouillir la marmite familiale.
Mobilité sociale
Cependant, dans mon cas, un heureux concours de circonstances vint à mon secours. Mon oncle qui travaillait dans le même quartier que mon père, avait l’habitude de venir le saluer et surtout pour prendre des nouvelles de la famille. Fidèle à son habitude, il s’enquerra du progrès scolaire des enfants. Il faut dire que malgré le fait qu’il n’avait pas eu l’opportunité d’entamer le cycle secondaire, cet oncle mettait toujours l’accent sur les études. Il disait souvent que l’éducation était la voie à suivre pour tirer les gens des conditions sociales qui les plaçaient dans la catégorie des familles dites défavorisées. Pour lui, l’éducation demeure le parcours à emprunter pour gravir les échelons de la mobilité sociale. Il allait apprendre que je n’avais encore tous les livres. Après son passage au lieu de travail de mon père dans l’arrière cour où se trouvaient les ateliers d’un grand magasin à la rue Royal, il vint chez nous cet après-midi là pour rendre visite à la famille et du coup pour demander à voir la liste de livres.
Comme il travaillait en ce temps-là comme commissionnaire à la rue Bourbon, le lendemain durant son heure de déjeuner, il alla à la Corner House, librairie très connue dans le centre ville de la capitale qui se trouve toujours à l’angle des rues Royal et Bourbon. Il y acheta les trois livres qui me manquaient, quelques cahiers et…une boîte de compas. Puis, il remit le tout à mon père qui lui avait promis de lui rendre son argent plus tard mais j’avais appris par la suite qu’il n’avait voulu rien entendre à ce sujet.
Objet précieux
Dès lors, je fus un des rares élèves de ma classe à pouvoir se targuer de disposer de tous les livres et des fournitures scolaires. J’étais très fier de ma boîte de compas. Outre un compas avec vis qui assurait un réglage rapide et précis, elle contenait aussi des crayons de bois, une petite boîte de mines, une gomme élastique, une petite règle, un aiguisoir et d’autres instruments.
Nul besoin de dire que je gardais cette boîte toujours dans mon cartable comme si c’était un objet précieux dont on prenait grand soin afin qu’il ne souffre d’aucune égratignure. Elle était de forme rectangulaire fabriquée en fer blanc avec des dessins des instruments sur le couvercle. J’ose penser que tout enfant de mon âge qui en possédait une, la considérait comme la prunelle de ses yeux. Toutefois, je la retirais de mon cartable durant les classes de maths. Je permettais à mes trois autres amis qui s’asseyaient sur le même banc de faire usage de ses instruments.
Cette boîte de compas avait une valeur sentimentale pour moi. En effet, je l’ai gardée pendant au moins une décennie après mes études au collège Bhujoharry. Pendant ces années, elle trônait sur la petite bibliothèque à la maison où je gardais mes livres et autres documents importants à mon sens. Des fois, lorsque je cherchais un livre pour lire durant mon temps libre, je ne pouvais m’empêcher de prendre cette petite boîte entre mes mains. Ce qui allait agir comme détonateur de toute une série de souvenirs de mes années scolaires au sein de mon Alma Mater.
Par exemple, je me souviens encore qu’en ce temps-là, tous mes amis de classe avaient beaucoup de respect pour leurs enseignants. Il en était de même pour tout le collège. Pour ce qui concernait notre prof de maths, Monsieur Laval Lan Fat Po, outre le respect que nous avions à son égard, nous avions aussi une certaine frayeur pour cet homme robuste et costaud d’autant qu’il n’hésitait pas à sanctionner la moindre incartade. Durant ses cours de maths, il avait toujours l’air sévère et sérieux. Mine de rien, sans trop d’efforts eu égard à la gestion de la classe, il instaurait la discipline tant à l’intérieur de sa salle de classe que dans la cour de notre établissement scolaire. D’ailleurs, la discipline faisait partie du mode de vie des élèves lorsqu’ils étaient pris en charge par la direction du collège.
En tout cas, on pourrait dire que la discipline et le goût de l’effort étaient parmi les caractéristiques qui déterminaient le succès académique de cet établissement scolaire. Pendant des décennies, ce collège fut géré avec poigne par feu Sir Alex Bhujoharry. Mais, il était aussi un homme de cœur qui n’hésitait pas à octroyer une bourse d’études à des élèves méritants aux brillantes performances académiques. Il était un enseignant hors-pair et un partisan d’une discipline stricte. Je me souviens encore avoir eu l’occasion de suivre ses cours de littérature anglaise qui débutaient tôt le matin, soit à partir de 7 heures.
Ce qui lui a permis de contribuer de manière significative à la société mauricienne en produisant des hommes intègres et honnêtes. Ainsi, ils sont très nombreux ces anciens étudiants issus du collège Bhujoharry qui font honneur à leurs responsabilités tant au sein de la fonction publique que dans le secteur privé à Maurice comme à l’étranger.
Lorsqu’on rencontre un ancien du collège, forcément de bons souvenirs remontent à la surface et on se raconte des anecdotes amusantes.
Par LouckmAan Lallmahomed