Abdel Ruhomutally, Managing Director de la GFA Insurance Ltd, s’affirme comme un observateur affiné et indépendant de la société mauricienne, y compris la politique. Dans cette interview, il donne son point de vue sur la sécurité routière, les inondations. Et il n’hésite pas à commenter la politique mais de manière dépassionnée, car « je ne cherche pas de mandat politique ».
« La pratique de ‘zet la boue’ est malheureusement courante dans notre culture politique et sociale »
Une moyenne de trois personnes est victime des accidents de la route chaque semaine. Cela devrait vous interpeller, n’est-ce pas ?
Effectivement, je suis profondément interpellé par cet important nombre d’accidents. Cette situation tragique a des conséquences dévastatrices pour les familles des victimes, ainsi que pour l’économie du pays.
À quoi attribuez-vous cette sinistre situation ?
À plusieurs facteurs, notamment le non-respect du code de la route, l’excès de vitesse, la conduite sous l’influence de l’alcool, et le manque de sensibilisation à la sécurité routière, le manque de courtoisie et l’impatience, entre autres.
Certains pointent également du doigt la formation et le mécanisme d’octroi des permis de conduire. Qu’en pensez-vous ?
Il est essentiel d’améliorer ces processus pour garantir que seuls des conducteurs qualifiés et responsables soient autorisés à circuler sur nos routes.
Comme bon nombre de personnes, êtes-vous intrigué par le fait que les actions des autorités ne portent toujours pas leurs fruits ?
Les autorités ont régulièrement des campagnes de sensibilisation axées sur la sécurité routière. Comme pour toute campagne, les résultats varient parfois en efficacité. Ce qui rend nécessaire la mise en place d’un mécanisme pour évaluer objectivement les résultats de chaque campagne et prendre des mesures correctives à court, moyen et long termes.
Où est-ce que le bât blesse ?
Comme mentionné, d’après ce que l’on sait, il semble que la majorité des accidents est liée au manque de vigilance, au non-respect du code la route, à la vitesse, à la conduite en état d’ébriété, à l’état du véhicule, au manque de courtoisie et à l’impatience, entre autres. Ce qui rend clair qu’il y a un relâchement de rigueur dans le comportement des conducteurs. En plus de l’utilisation de divers canaux de communication, je recommande une sensibilisation à plus grande échelle, dans les écoles, les lieux de travail, les centres commerciaux, etc. La situation est suffisamment grave pour qu’on sorte les grands moyens.
Partagez-vous l’opinion de ceux qui pensent qu’il y a trop de véhicules sur nos routes ? Est-ce une voie sans retour ?
Il est indéniable qu’une augmentation du nombre de véhicules entraîne des défis en termes de congestion. Cependant, aucune étude ne démontre de lien direct entre le nombre de véhicules et le nombre d’accidents.
Prenons l’exemple de Singapour : bien que la superficie de Maurice (2 040km²) soit environ trois fois supérieure à celle de Singapour (734,3 km²), le nombre de véhicules sur les routes singapouriennes s’élève à environ 853 000, tandis que Maurice compte environ 676 000 véhicules. En d’autres termes, Singapour possède près de 180 000 véhicules de plus que Maurice pour un territoire qui représente le tiers de celui de Maurice. Pourtant, en 2023, le nombre de victimes mauriciennes s’élevait à 138, quasiment similaire aux 136 victimes singapouriennes pour la même année. Ceci dit, il est important de souligner que les motocyclistes et les piétons restent les usagers les plus vulnérables dans les deux pays.
« Je crains une explosion du nombre de piratages et de cas de manipulation de l’information, y compris l’exploitation des logiciels comme le ‘Deepfake’, ou le ‘Voice Cloning’ »
Nombreux sont ceux qui s’inquiètent du manque d’attention des dirigeants politiques à un thème aussi crucial dans le débat politique actuel. Face à l’urgence de la situation, pensez-vous qu’il est nécessaire d’intégrer un chapitre dédié à la sécurité routière, incluant les mesures à prendre pour les cinq prochaines années, dans les manifestes électoraux ?
En effet, il est crucial de mettre en place des politiques efficaces pour gérer ce problème et encourager des comportements plus responsables. En ce qui concerne l’inclusion d’un chapitre sur la sécurité routière dans les Manifestes électoraux, je pense que c’est une proposition pertinente.
Si on vous demande de rédiger ce chapitre, quelles en seront les grandes lignes ?
Je mettrais l’accent sur l’amélioration des infrastructures routières, la sensibilisation des conducteurs et du public, le renforcement des contrôles routiers, entre autres.
En tant qu’assureur, les dégâts causés par les inondations au centre de la capitale devraient vous préoccuper. Que doivent faire les autorités pour atténuer les dégâts ?
Il est vrai que cela préoccupe les assureurs, car cela représente une augmentation de sinistres à un rythme qui n’est pas dans le cours normal des choses. Il faut rapidement prendre des mesures pour améliorer les systèmes d’alerte, le système de drainage et la mise en place de plans d’urgence. À ce jour, je ne suis pas au courant de quelconque plan d’évacuation qui a été communiqué au public. Bien qu’on demande de suivre les instructions de la police, il est important que la population soit aussi éduquée sur les grandes lignes de ce plan.
De plus, beaucoup avertissent que nous ne sommes pas à l’abri d’un tsunami. Quand éduquerons-nous les gens à Port-Louis, par exemple, sur ce qu’il convient de faire en cas de tsunami ?
Au Japon et dans d’autres pays, la sécurité est enseignée à l’école et tout le monde sait quoi faire lorsque les sirènes d’alerte commencent à retentir. De plus, il est impératif que les autorités prennent des mesures pour limiter la construction de maisons dans des zones à risque d’inondation, afin de réduire les pertes potentielles et de protéger les habitations.
N’avez-vous jamais été tenté de vous lancer dans la politique ?
[Rires] En tant que citoyen engagé, je suis fermement convaincu que chacun de nous doit jouer un rôle actif dans la société. Par exemple, à la GFA, nous nous engageons en faveur de nombreuses initiatives visant à promouvoir le bien-être de la communauté. Nous organisons régulièrement des dons de sang, avons récemment équipé nos 25 branches et bureaux à travers l’île de tensiomètres (appareil pour vérifier la tension artérielle), et nous allons prochainement lancer une formation en maintenance automobile destinée aux femmes.
J’agis autant que je le peux avec les ressources dont je dispose. Je ne cherche pas de mandat politique et personne ne m’en a officiellement proposé jusqu’à présent. Alors, je demeure concentré sur mon rôle actuel d’assureur et je continuerai à servir la communauté de cette manière.
En tant qu’observateur, croyez-vous à la guerre des foules ?
Je crois que les rassemblements politiques et les démonstrations de force des foules illustrent la capacité de mobilisation des partisans, ainsi que la puissance financière des différents blocs pour coordonner les logistiques nécessaires. Cependant, je doute que cela ait un impact direct sur le scrutin, mais plutôt qu’ils fournissent un indice. En réalité, toutes les décisions électorales sont prises dans l’isoloir. La corrélation entre le nombre de participants aux rassemblements, les vues sur Internet et les comportements de vote ne pourra être établie qu’à travers les résultats.
Pensez-vous que nos politiciens restent trop figés dans le traditionnel ? Qu’auriez-vous souhaité voir durant la prochaine campagne électorale en termes d’innovation et de recours à l’intelligence artificielle ?
Je répondrai à votre question en plusieurs parties. Tout d’abord, le contact humain. Le fait de rencontrer directement les électeurs permet aux candidats de créer un lien personnel avec eux, de comprendre leurs préoccupations et de leur transmettre leur message de manière plus convaincante. Alors, bien traditionnelles, les interactions en personne peuvent jouer un rôle crucial dans la réussite d’une campagne politique.
Cependant, je suis personnellement moins enthousiaste quant à l’utilisation de drapeaux, banderoles, affiches et bases locales dans les campagnes politiques. La production de ces éléments peut générer une quantité importante de déchets, notamment en plastique et en papier. Il est donc important que les acteurs politiques veillent à utiliser des matériaux recyclables et à limiter leur impact sur l’environnement.
La technologie jouera définitivement un rôle important dans les prochaines élections. Je ne parle pas seulement des réseaux sociaux, qui sont déjà inondés de contenus politiques. Je crains une utilisation dangereuse de l’IA pour cibler les axes d’influence, une explosion du nombre de piratages et de cas de manipulation de l’information, y compris l’exploitation des logiciels comme le ‘Deepfake’, ou le ‘Voice Cloning’. C’est dommage que le désir du pouvoir incite parfois à inventer de nouveaux moyens de nuire.
À la lumière des récentes déclarations politiques, redoutez-vous une campagne électorale « zet la boue » ?
La pratique de « zet la boue » est malheureusement courante dans notre culture politique et sociale. Par définition, elle consiste à attaquer ou discréditer un adversaire politique en utilisant des accusations infondées, des rumeurs, des mensonges ou des attaques personnelles. Les électeurs ont le devoir de demeurer vigilants face à ces attaques et de se forger une opinion informée lors des élections. Pour ma part, je refuse de m’immiscer dans des affaires de vie privée. Ce qui m’importe, c’est comment améliorer la condition socio-économique du pays et la qualité de vie de nos concitoyens. Les candidats politiques doivent être encouragés à promouvoir un discours constructif et à se concentrer sur les véritables enjeux de société.
En tant qu’assureur, suivez-vous les prévisions météorologiques d’Afzar Goodur ?
Bien qu’il puisse arriver que les prévisions d’un météorologue amateur se révèlent justes, les assureurs sont appelés à se fier uniquement aux avis et rapports officiels pour déterminer, à titre d’exemple, le montant d’une indemnisation en cas de sinistre.
« Il y a un relâchement de rigueur dans le comportement des conducteurs »
Allez-vous continuer de le suivre après son entrée en politique, car certaines personnes craignent qu’il ne perde son indépendance ?
Monsieur Goodur est libre de son choix. De toute façon, il est inapproprié pour moi de commenter les différends et les divergences politiques entre un météorologue amateur et son audience.
Votre mot de la fin ?
Je suis fermement convaincu qu’il est urgent d’éliminer nos mauvaises habitudes, en consolidation de la structure socio-économique du pays et l’amélioration de la qualité de vie de la population. Les pressions externes telles que la guerre ne font que souligner l’urgence d’une action sérieuse pour relever les défis auxquels notre pays est confronté.
Depuis les vingt dernières années, je me suis engagé pour que tous les Mauriciens aient la possibilité de choisir librement l’assurance la mieux adaptée à leurs besoins, sans subir aucune pression ou subterfuge de la part des banques, des sociétés de leasing, des concessionnaires automobiles, ou d’autres acteurs. Mon combat se poursuit.