Reaz Chuttoo, de la Confédération des travailleurs des secteurs public et privé (CTSP), s’épanche sur le rapport du National Wage Consultative Council sur le salaire minimal soumis au ministre du Travail cette semaine. Selon lui, il faut revoir le montant en janvier 2020.
Quel est votre constat après la publication du rapport du National Wage Consultative Council sur le salaire minimal ?
Il y a du bon mais aussi du moins bon ! D’abord, on note une prise de conscience à plusieurs niveaux. On a commencé à comprendre que les gens ont besoin d’une certaine somme d’argent afin de ne pas souffrir de malnutrition. De nombreux travailleurs bénéficient aujourd’hui du salaire minimal et cela leur permet de survivre. Un deuxième constat est que dans la classe de « working poor » c’est-à-dire où les deux conjoints travaillent, aujourd’hui c’est la somme de Rs 18 000 qui entre dans le foyer. C’est suffisant pour une famille de vivre mais certainment pas dans l’opulence. D’un autre côté, il est malheureux de constater qu’il existe encore des employeurs malhonnêtes, surtout dans le secteur de la zone franche, qui font tout pour priver les employés de leurs droits. Les patrons de ces entreprises traitent les « variable renumeration » telles que les bonus de présence comme des coûts fixes pour éviter de payer leurs employés. Aujourd’hui, tout est orchestré de manière à ce que les usines n’opèrent qu’avec les travailleurs étrangers.
Le ministre du Travail se dit satisfait de l’impact du salaire minimal sur les conditions de vie des petits salariés. L’êtes-vous également ?
Je suis certes satisfait de l’introduction du salaire minimal depuis janvier 2018 mais il faut revoir le mécanisme et aussi le montant. À présent, les Rs 9000 ne servent qu’à garder le travailleur en vie. Il va falloir travailler sur d’autres formules pour essayer de voir comment on pourra assurer une meilleure distribution des richesses. Il faut faire la distinction entre le « minimum wage » et le « living wage » qui, lui, permet à une personne de s’épanouir et d’assurer l’avenir de ses enfants. J’aimerais ajouter que de nombreux politiciens, s’appuyant sur des théories du capitalisme, disaient que le salaire minimum allait provoquer des licenciements massifs. Or, c’est le contraire qui est vrai. L’introduction du salaire minimal a réduit le chômage.
Nous souhaitons que la pension de vieilles et autres prestations sociales s’alignent sur le même montant du salaire minimal.»
Le rapport fait état de plusieurs points positifs. N’empêche, il indique des pertes d’emploi dans les secteurs primaires. Qu’est-ce qui explique cela ?
Je ne suis pas d’accord avec cela. Les emplois des secteurs primaires qui sont mentionnés dans le rapport concernent l’agriculture et la pêche. Traditionnellement, les emplois dans ces deux secteurs sont de nature saisonnière. L’agriculture à Maurice a également évolué avec la mécanisation depuis l’an 2000. Donc, il est faux de dire que c’est à cause du salaire minimal que les gens ont perdu leurs emplois dans ce secteur. Idem pour la pêche. Aujourd’hui, les Mauriciens sont peu enclins à se tourner vers le métier de pêcheur. Il faut comprendre que le rapport du NWCC est rédigé après un sondage effectué auprès des patrons d’entreprises. Il y a eu des campagnes mensongères à l’effet que le salaire minimal est néfaste à notre économie. Certains syndicalistes se sont malheureusement laissés prendre au piège.
21 000 travailleurs ne touchent pas les Rs 9 000 du salaire minimum. Selon vous, d’où provient cette lacune ?
Comme je vous l’ai dit, il y a des employeurs qui traitent des coûts variables comme des coûts fixes pour ne pas à payer davantage les travailleurs. Mais il y a aussi des employeurs qui font de fausses déclarations sur le nombre d’heures de travail par les travailleurs. Tout cela est dû aux lacunes présentes dans nos lois.
Comment peut-on assurer que chaque employeur n’enfreint pas les lois eu égard au paiement du salaire minimal ?
Il faut revoir les pénalités. Il est grand temps d’introduire la formule « claim with interest » car à présent, la loi encourage l’employeur à ne pas respecter les droits de l’employé. Par exemple, un employeur doit payer Rs 15 000 à son travailleur mais il ne lui donne que Rs 10 000. Celui-ci décide de le poursuivre en justice pour non-paiement des Rs 5000. Après quelques années, le patron est trouvé coupable mais il n’aura que Rs 5000 à payer. Quelque part, cela ne fait pas entièrement justice à l’employé d’où la nécessité de venir avec le « claim with interest ». On espère que le gouvernement l’introduira dans les amendements aux lois du travail.
Les élections de 2014 est une preuve que la classe ouvrière peut faire entendre sa voix.»
Plusieurs petites et moyennes entreprises éprouvent des difficultés à payer le salaire minimal. Faut-il revoir la formule pour ces types d’entreprise ?
Bien sûr. D’ailleurs, la CTSP s’est toujours prononcé contre le fait que toutes les entreprises bénéficient de l’allocation spéciale payée par la MRA qui est de Rs 500. Si une banque qui génère des milliards de roupies emploie un « cleaner », elle bénéficiera de cette allocation tout comme une petite entreprise. Ce n’est pas juste. J’estime qu’il faut accorder une attention particulière aux PME qui généralement n’ont pas de grands moyens à leur disposition.
La CTSP se penche-t-elle déjà sur une révision du montant du salaire minimal en vue des prochaines consultations tripartites ?
Depuis son introduction en janvier 2018, nous nous sommes déjà dit qu’il faut revoir le montant en janvier 2020. Actuellement, nous pensons que le montant doit passer à Rs 10 000 en janvier de l’année prochaine tout en prenant en considération le taux d’inflation. Mais au fil des années, il nous faudra trouver une formule pour pouvoir assurer un minimum vital d’environ Rs 21 000 aux employés. Parmi nos autres demandes, nous souhaitons que la pension de vieillesse et autres prestations sociales s’alignent sur le même montant du salaire minimal. Ceci pour assurer la sécurité alimentaire d’une personne.
Sinon dans le secteur du textile, la situation des travailleurs devient très compliquée. Vendredi, 1300 employés de Palmar Ltée ont perdu leur emploi. Un drame humain, n’est-ce pas ?
En effet, un véritable drame pour ces nombreux employés qui ont perdu tant d’années de service. La plupart d’entre eux seront déployés dans d’autres secteurs et d’autres seront formés dans d’autres domaines. Néanmoins, la situation aurait été différente si le Portable Retirement Gratuity Fund comme demandé par la CTSP avait été mis en place. On espère avoir une réponse favorable de la part du ministre du Travail, Soodesh Callichurn, après la réunion du comité ministériel le 6 mars prochain.
La CTSP annonce son entrée dans l’arène politique. À quoi peut-on s’attendre de ce « move » ?
La CTSP a tout le temps mené des campagnes électorales sans pour autant aligner de candidats. Cela dans le but d’éduquer la population et de la mettre en garde contre la bipolarité politique. C’est-à-dire se tourner uniquement vers deux partis politiques à chaque élection. Aussi, nous voulons éduquer la population sur leurs droits. Nous demandons ainsi au gouvernement de prendre des décisions qui seront en faveur des travailleurs et d’apporter des amendements aux lois du travail pour garantir la sécurité des employés. Au cas contraire, il saura à qu’à quoi s’en tenir. Les élections de 2014 est une preuve que la classe ouvrière peut faire entendre sa voix.
C’est une menace de la part de la CTSP ?
Appelez cela comme vous le voulez, mais nous à la CTSP, nous allons mener campagne pour faire valoir leurs droits aux travailleurs. En 2014, la classe des travailleurs a donné une leçon à l’ancien régime. Nous demandons au gouvernement présent de venir avec des lois pour rendre la justice aux travailleurs.