Ravi Rutnah, avocat et député du Muvman Liberater (ML), estime que l’affaire Gaiqui a donné lieu à une guerre entre les policiers voyous et les avocats qui militent pour les droits de l’homme. Selon lui, il existe un très gros problème de Law and Order à Maurice.
David Gaiqui est désormais un homme libre, le Directeur des Poursuites Publiques (DPP) ayant décidé de ne pas aller de l’avant avec l’affaire. Qu’est-ce que cela implique ?
Il faut avant tout comprendre que lorsqu’un suspect est arrêté, il faut qu’il y ait suffisamment de preuves contre lui pour aller de l’avant. Or, dans le cas de David Gaiqui, tel n’a pas été le cas. Même le DPP a tranché en sa faveur. Mais nous n’en serions pas arrivés là si la police avait fait son travail correctement. Elle n’a pas procédé à la collecte de preuves que ce soit à travers les images-caméra ou tests ADN, entre autres. Au final, tout cela implique que : primo, David Gaiqui est innocent ; secundo, les policiers n’ont pas fait leur travail et ont agi comme des gangsters ; tertio, on ne pourra pas faire la justice dans cette affaire. Il y a aussi le risque que David Gaiqui envisage des actions légales contre la police et l’État.
Quelle est la marche à suivre pour le panel d’avocats qui a suivi cette affaire de près ?
Ce panel d’avocats est là pour défendre les droits de l’homme. Si David Gaiqui envisage des poursuites au civil, le panel sera présent pour lui donner des conseils et lui expliquer les procédures. S’il réclame des dommages à l’État, croyez-moi que ce sera à coup de plusieurs millions de roupies.
« Mais nous allons poursuivre notre combat afin que les droits de chaque citoyen mauricien ne soient pas bafoués quand il entre dans un poste de police. »
Vous avez lancé un ultimatum au Commissaire de police, en début de semaine, pour la suspension des policiers impliqués dans l’affaire Gaiqui. Depuis, plusieurs policiers ont été transférés. Est-ce que cela vous satisfait ?
Non. Pas entièrement satisfait, je dois l’admettre. Avec un simple transfert, ces mêmes policiers risquent de récidiver dans d’autres postes de police, alors qu’une suspension aurait été la meilleure solution. Il faut aussi les poursuivre pour torture et ne pas leur donner de caution car ils risquent de manipuler des preuves ou influencer des témoins. Il est dommage que quelques policiers viennent ternir l’image du pays et celle des autres officiers de police qui bossent vraiment dur et ce, dans des conditions difficiles.
La population a été choquée de voir la photo de David Gaiqui, nu et enchaîné. Néanmoins, certains avancent que c’est une méthode de fouille corporelle normale dans les postes de police. Est-ce normal selon vous ?
La fouille corporelle existe mais il y a des procédures à respecter. On ne peut pas enchaîner des gens comme on l’a fait avec David Gaiqui et dire que c’est une fouille. Si certains avancent que c’est une pratique normale, je dirais à ces personnes d’aller refaire leur éducation. C’était de la torture pure et simple et une violation de l’article 7 de la Constitution et l’article 7 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Des policiers sont très remontés depuis la prise de position de plusieurs avocats dans cette affaire. Est-ce une guerre ouverte entre policiers et avocats ?
Je dirai que c’est une guerre entre les policiers voyous et les avocats qui militent pour les droits de l’homme. Ce n’est nullement un bras de fer avec toute la force policière. Loin de là. Car comme je l’ai dit, la majorité des policiers travaillent très dur. Mais nous allons poursuivre notre combat afin que les droits de chaque citoyen mauricien ne soient pas bafoués quand il entre dans un poste de police.
« Il y a un gros problème de Law and Order à Maurice. Les raisons sont multiples mais à la source, il y a la dégradation sociale. »
Des voix se sont aussi élevées sur les réseaux sociaux contre la crainte de voir de vrais criminels brandir la brutalité policière à chaque fois pour se tirer d’affaire. Leur crainte est-elle justifiée ?
Pour la première fois, dans le cas de David Gaiqui, il y a eu des preuves concrètes pour démontrer que la police a torturé un suspect. Et ce grâce à l’intervention de l’avocat Anoup Goodary. Mais malheureusement, dans plusieurs autres cas dans le passé, des victimes n’ont rien pu prouver. Et il est aussi difficile pour le commun des mortels de venir apporter des preuves contre la police. L’affaire Gaiqui vient démontrer l’existence d’autres cas similaires auparavant. Il ne faut pas que les Mauriciens réagissent de la sorte car personne n’est sûr qu’un membre de sa famille ne se retrouverait pas dans une même situation. Si les avocats n’avaient pas dénoncé les policiers dans cette affaire, il est fort probable que ce soit un cadavre qui allait sortir du poste de police comme c’était le cas avec les Toofany, Ramdanee, Ramlugun et Kaya.
Qu’avez-vous à répondre à ceux qui disent que les avocats font des spéculations ?
Je suis sûr que ceux qui disent cela se sont adonnés à des actes de torture sur des suspects dans le passé. Mais je répète que les avocats sont là pour défendre les droits de l’homme et que nous ne faisons pas des spéculations.
Y-a-t-il quelque chose qui cloche dans notre système de Law and Order ?
Il y a un gros problème de Law and Order à Maurice. Les raisons sont multiples mais à la source, il y a la dégradation sociale. Il n’y a plus aucun respect pour les aînés et aussi pour les plus petits. Beaucoup d’écoles religieuses ont fermé leurs portes et les parents se sont concentrés uniquement sur l’éducation académique de leurs enfants au détriment des valeurs morales, de l’éthique, du respect et de la culture, entre autres. Cela a donné lieu à plusieurs écarts de conduite mais le gouvernement doit reformer la force policière, le système judiciaire et les services pénitentiaires.
Comment ?
Il faut venir de l’avant au plus vite avec la Police Academy, puis voter la Police and Criminal Evidence Act au Parlement et ensuite mettre sur pied l’Independent Police Complaints Commission. Pour le système judiciaire, il est souhaitable que la Judicial Complaints Commission voie le jour au plus vite. En ce qui concerne le système carcéral, il faut commencer à faire travailler les prisonniers car ils coûtent tout de même Rs 800 par jour à l’État. Les prisonniers doivent se lever comme tout le monde à 4h ou 5h du matin et aller travailler. Mais ils doivent être rémunérés. 50% de leur salaire doivent aller à leurs familles, 25% à leur victime et les 25% restants doivent être mis de côté pour leur propre usage une fois libérés. Ils n’auront ainsi pas à aller voler à nouveau.
Plusieurs de vos collègues ont décidé de mettre sur pied la Human Rights Association pour éduquer les Mauriciens. Est-ce une façon pour redorer le blason de la profession ?
Il existe une dégradation des droits de l’homme à Maurice depuis plusieurs années. Plusieurs avocats sont venus en aide gratuitement à des personnes qui se sont retrouvées dans le besoin. Cette association a également pour but d’aider les personnes qui n’auront pas les moyens de payer les services d’un avocat. Tout n’est pas une question d’argent. Cette association, c’est aussi un moyen pour les avocats de redonner de la valeur à la robe que nous portons et également à la justice.
Vous et votre collègue Teeluckdharry sont membres du gouvernement. Qu’est-ce que cela implique de critiquer la force policière qui est sous la coupole du bureau du Premier ministre ?
Quand je fais mon travail d’avocat, je le fait indépendamment. Je ne mélange pas la politique et la profession d’avocat. Bien que la police soit sous la tutelle du PMO, en tant que citoyen, avocat et politicien, il fallait que je dénonce certaines pratiques qui ne sont pas en règle. Je continuerai à défendre la justice et si quelqu’un me pointe du doigt, je lui brûlerai le doigt !