Face à la situation alarmante concernant le nombre de décès par overdose, en particulier de drogue synthétique, Ally Lazer, président de l’Association des travailleurs sociaux de Maurice, réagit fermement contre l’inaction des autorités face aux marchands de mort qui sèment la désolation dans les familles.
«Trop, c’est trop », déclare Ally Lazer, qui se sent impuissant malgré son combat de plusieurs années, ses mises en garde et ses messages quotidiens sur les réseaux sociaux. Il indique qu’il tire la sonnette d’alarme depuis longtemps sur le rajeunissement et la féminisation de la consommation de drogue à travers le pays. « Personn pa a l’abri », dit-il et d’ajouter qu’il a été témoin de plusieurs cas de décès par overdose. « Pena kominote, ni classe sociale ki a l’abri de la mort par overdose ek konsomation la drog », met-il en garde.
Ally Lazer souligne que les toxicomanes ne réalisent pas à quel point la drogue synthétique actuellement en circulation est dangereuse et conduit inévitablement à la mort. En une semaine, cinq décès ont été signalés. « Ena finn mor par overdose ek ena finn mort par reglema de compte par bann baron ladrog », tonne-t-il. Il affirme que le nombre de décès par overdose ne reflète pas la réalité, car la vérité est souvent dissimulée. « Zamé medecin legis met ‘Cause of Death’ par overdose, tou letan met ‘œdème pulmonaire’ », souligne-t-il.
Ally Lazer témoigne du cas d’un parent dont le fils est mort par overdose il y a une semaine. Accompagné de son épouse, il a rendu visite à ce couple qui ne respire plus la joie de vivre. Leur maison mal éclairée témoigne de leur désolation face à la mort de leur fils unique, en qui ils avaient placé de grands espoirs. « Zot en larme ek zot nepli en gout pou viv. Boukou mama papa pe verse larme gramatin tanto pou tir zot zenfan depi sa lenfer la », se désole-t-il.
Explosion de la vente
Notre interlocuteur indique que, depuis qu’il est sur le terrain, il y a plusieurs années, il constate ces derniers temps une explosion dans la vente de drogue, malgré les arrestations, les saisies de drogue, les descentes des brigades anti-drogue et les emprisonnements. « Dans plusieurs endroits, il y a des marchés de drogue ouverts 24/7. La drogue synthétique se vend comme des petits pains, et les jeunes en manque commettent des vols, attaquent des innocents pour obtenir de l’argent afin de se droguer », laisse-t-il entendre.
Ally Lazer souligne que le monde des jeunes toxicomanes tourne autour de la drogue. Malgré les dangers, ils ne se rendent pas compte du mal qu’ils font à la société et à leurs familles. « Il n’y a pas de formule magique pour arrêter cette situation ; seule la volonté et la foi en Dieu peuvent sauver le pays de l’emprise des barons de drogue qui ont pris certains quartiers en otage », avance-t-il.
Ally Lazer ne garde pas espoir face à l’entrée de drogue sur notre territoire. « La drogue synthétique arrive à Maurice sous forme liquide, et est préparée dans des maisons louches et des bungalows. La dernière tendance en matière d’entrée de drogue concerne les papiers imbibés de drogue synthétique, qui passent la douane sans laisser de trace », dénonce-t-il.
Imran Dhannoo : « L’heure n’est pas à la critique, mais aux actions »
Face à la flambée des cas d’overdose chez les jeunes, Imran Dhannoo, responsable du centre de désintoxication Dr Idrice Goumany, à Plaine-Verte, estime que « l’heure n’est pas à la critique, mais aux actions ».
Il explique que les nouvelles drogues de synthèse désignent des substances hautement addictives, soit sous une forme pure, soit issues d’un mélange, qui ne sont pas encore soumises au contrôle des conventions internationales. « C’est un phénomène qui a pris de l’ampleur aux États-Unis et en Europe depuis 2008, mais la situation est devenue alarmante à Maurice à partir de 2013, malgré tous les efforts déployés par les autorités pour le juguler », avance-t-il et d’ajouter que les drogues synthèse, tout comme les drogues synthétiques, sont fabriquées et mélangées par des humains, souvent dans des laboratoires clandestins ou des « garages clandestins ».
Selon Imran Dhannoo, il existe différentes familles de drogues de synthèse à travers le monde, et celle à la plus forte prévalence à Maurice est le cannabinoïde de synthèse. « Connues sous différentes appellations à Maurice, comme ‘synthé’, ‘gris’, ‘vert’, ces substances deviennent mortelles au fil des consommations, surtout avec les multiples mélanges toxiques ajoutés à ces produits », met-il en garde et de préciser : « la nouvelle tendance concerne le ‘liquid synthetic’, diffusé sur des feuilles de papier A4 pour être consommé. » Ces substances sont 100 fois plus puissantes et toxiques que l’ingrédient actif présent dans le cannabis naturel, sans oublier les multiples conséquences pour les consommateurs, allant de la sédation à la paranoïa, l’agitation, la confusion, les attaques de panique, ainsi que les convulsions, les problèmes pulmonaires et cardiovasculaires, pouvant se terminer par une overdose.
Participation de tous
Pour combattre ce fléau, il faut la participation de tous, estime Imran Dhannoo. « Malgré tous les efforts déployés par les autorités concernées en termes d’arrestations et de saisies de drogue, le nombre de consommateurs ne cesse de croître, avec un rajeunissement prononcé. Les autorités concernées doivent impérativement procéder à une étude de prévalence de la consommation de drogues synthétiques à Maurice pour avoir une idée plus précise de ce phénomène qui touche principalement les jeunes, et pour comprendre les raisons sous-jacentes de cette situation », souligne notre interlocuteur.
Qu’est-ce qui pousse tous ces jeunes à consommer un produit toxique et mortifère ? « La réponse est claire : c’est la recherche du plaisir dans un premier temps », répond-il. Le rapport de Lam Shang Leen sur le trafic de drogue à Maurice avait préconisé, dans ses multiples recommandations, un débat dépassionné sur le cannabis. « Cette recommandation n’est pas anodine, vu l’ampleur que la drogue synthétique a prise à Maurice. Il ne faut pas non plus se leurrer : d’autres substances appartenant à d’autres familles de drogues synthétiques ont également été saisies par les autorités à Maurice, comme la kétamine et la cathinone, sans oublier les substances méthamphétaminiques. L’heure est grave, et ce combat ne pourra être remporté qu’avec la participation de tous. Tous les politiciens, la société civile, et la population dans son ensemble doivent unir leurs efforts pour protéger la société mauricienne », conclut-il.