Friday , 29 March 2024
Dr Roukaya Kasenally

Dr Roukaya Kasenally : «Il faut du sang neuf dans la classe politique»

Le dernier sondage de Straconsult démontre une chute dans le niveau de confiance des Mauriciens dans les institutions publiques et dans la démocratie. Le Dr Roukaya Kasenally, spécialiste en démocratie, chargée de cours et co-fondatrice de Mauritius Society Renewal est d’avis qu’il faut un renouvellement de la classe politique à Maurice.

Le dernier sondage de Straconsult pour le compte d’Afrobarometer démontre une érosion de la confiance des Mauriciens dans les institutions publiques. Qu’est-ce que cela implique ?
Cela démontre que nous faisons face à un problème fondamental qui est le manque d’indépendance dans plusieurs institutions. À Maurice, en dépit du fait que nous ayons une multitude d’institutions qui sont censées avoir à cœur l’intérêt public, on remarque tout de même depuis plusieurs années les ingérences des politiciens à travers la nomination des présidents des Conseils d’administration et autres CEO. Ces nominés ne sont pas toujours les plus compétents et aptes à occuper ces postes. Ils servent leurs propres intérêts et ceux qui les ont propulsés à l’avant. Ainsi, il n’est nullement surprenant que nos institutions ont réalisé de tels scores lors de ce sondage et n’ont plus la confiance des Mauriciens.

Indépendamment des secteurs, le sondage démontre une baisse considérable du niveau de confiance des Mauriciens. Y-a-t-il une explication à cela ?
Je suis d’avis que c’est une tendance à l’échelle internationale reflétée dans plusieurs autres sondages tels que Freedom House, EIU on Democracy et l’indice Mo Ibrahim sur la bonne gouvernance. Tout cela démontre que les gens ne font plus confiance aux systèmes – politique, social et économique des pays dans lesquels ils vivent. Les partis politiques traditionnels sont en crise, l’inégalité économique est en hausse, l’extrémisme et le populisme sont sur la pente ascendante alors que les tensions sociales deviennent plus graves. L’absence de confiance et de moralité n’a jamais été aussi élevée et l’île Maurice n’est pas en reste.

Outre la chute libre de confiance dans les institutions, les Mauriciens semblent ne plus faire confiance à la démocratie. Selon vous, y-a-t-il lieu de s’inquiéter ?
La démocratie a connu un déclin constant au cours de ces dix dernières années et aujourd’hui, nous parlons de crise. Concernant l’île Maurice, il y a eu dix élections depuis l’Indépendance et nous avons été plébiscités pour avoir adopté ce que j’appelle « une culture de vote et non de balle ». Maurice est considérée comme l’enfant prodige de la démocratie en Afrique, se classant systématiquement premier sur le continent. Cependant, quand nous faisons une analyse du type de démocratie dans lequel nous vivons, c’est alors une toute autre histoire. La présence d’une politique dynastique qui n’a vu que deux familles occuper le poste de Premier ministre (Ramgoolam et Jugnauth), une classe politique malade, la propagation d’une politique ethno-centrée, l’implication d’énormes sommes d’argent, l’omniprésence de la corruption et l’absence de méritocratie sont autant de facteurs à prendre en compte. Nous avons des élections sur une base régulière qui peuvent être considérées comme étant libres, mais nous avons dans le même temps un bassin extrêmement limité dans lequel puiser nos choix. Oui, je considère tout cela comme extrêmement préoccupant d’autant plus que Maurice va fêter son 50e anniversaire de l’Indépendance. Il est grand temps de commencer à faire les choses différemment et il est important que les citoyens s’impliquent davantage dans ce changement.

Peut-on s’aventurer à dire qu’il existe une crise de confiance dans le pays ?
Je ne m’aventurerais pas à dire cela mais je pense que nous devons être en mesure d’agir dès maintenant afin d’éviter des dommages irréversibles.

« Les résultats du sondage doivent servir de catalyseur pour apporter du changement dans le pays »

Selon vous, que peut-on faire pour renverser la vapeur ?
Nous devons être prêts à joindre le geste à la parole. Je pense que la célébration du 50e anniversaire de l’Indépendance sera le moment idéal pour faire des réflexions profondes sur ce qui constitue le mauricianisme et le fait d’être Mauricien. Il existe des mesures à court et à moyen terme qui peuvent aider à renforcer le niveau de confiance dans nos institutions et dans la démocratie. Il faut, cela dit,, s’assurer que ces institutions soient gérées par des personnes recrutées sur la base de leur mérite tout en diminuant les ingérences politiques dans la gestion quotidienne des corps paraétatiques. Il faut également songer à venir de l’avant avec la Freedom of Information Act et la réforme électorale. On a entendu parler de réforme électorale depuis 2001 mais rien n’a été fait jusqu’à présent. Je pense que si nous mettons ces idées en pratique, la confiance sera rétablie.

Par ailleurs, les leaders politiques n’ont plus la cote selon ce sondage. La perte de confiance dans ces derniers reflète-t-elle le besoin de sang neuf ?
Comme je l’ai dit plus tôt, il n’y a eu que très peu de renouvellement de la classe politique à Maurice. Seules deux familles ont occupé le poste de Premier ministre et malheureusement, contrairement à d’autres partis à travers le monde, ici, les chefs de parti ne sont pas élus mais s’autoproclament leaders. Il y a aussi une absence de planification pour la relève. Je pense que les Mauriciens sont las de voir les mêmes visages qui leur promettent vainement d’apporter du changement dans leur vie. Selon moi, la situation s’est empirée à cause des coalitions pré-électorales, à l’exception de 1976. De ce fait, les leaders n’ont pas la liberté d’agir avec audace. À l’heure de nos 50 ans d’indépendance, il faut du sang neuf dans la classe politique ainsi que de nouvelles idées et il faut ouvrir la porte à ceux qui ont réellement le souhait de servir le pays. Le « business as usual » ne peut plus être toléré.

Concernant la liberté politique, les Mauriciens estiment que leurs droits politiques sont bafoués. Partagez-vous leur avis ?
Contrairement à plusieurs pays africains, à Maurice, les citoyens ont le droit de s’exprimer et aussi, ils ne sont pas privés de leur droit de vote. Je suis d’avis que cela cache un sentiment de peur. Et plus précisément la peur d’être privé d’opportunités si on décide de parler et de s’exprimer librement. Aller à contre-courant peut s’avérer problématique au sein de notre petite nation. Donc, qui est à blâmer ? Les citoyens ont leur part de responsabilité. Au cours des dix dernières années, nous avons pu témoigner d’importantes contestations politiques où les gens sont descendus dans la rue comme en Tunisie, au Sénégal, en Égypte, en Afrique du Sud et au Zimbabwe, entre autres.

Comment est-ce que les résultats de ce sondage peuvent affecter l’image du pays sur la scène internationale ?
Quelle image ? Celle de Maurice comme une parfaite démocratie ? Au contraire, les résultats du sondage doivent servir de catalyseur pour apporter du changement dans le pays. Je pense que nous ne devrions pas être préoccupés avec notre image sur le plan international mais nous devons travailler à résoudre les graves problèmes et les défis auxquels nous faisons face tels que le changement climatique, la corruption, la prolifération de la drogue, l’inégalité et la pauvreté.

Sinon, un an après son lancement, quelles sont les réalisations de Mauritius Society Renewal (MSR) dont vous êtes la co-fondatrice ?
Depuis le lancement en mars de l’année dernière, nous avons été mesure de mettre en place les principes de base et les valeurs fondamentales de MSR. Nous avons constitué le Conseil qui est présidé par Cassam Uteem et composé de membres locaux et internationaux. Le site internet de MSR a également été lancé. Concernant les activités, nous avons eu une série de dialogue sur la Constitution mauricienne et avons réalisé des clips vidéo informatifs ayant trait à plusieurs thèmes : 50e anniversaire de l’Indépendance, la Constitution et la démocratie, entre autres. Ces vidéos sont réalisées dans le but d’éduquer les gens car nos recherches ont permis de démontrer qu’une bonne partie de la population a une notion assez vague de la démocratie ou comment marche la Constitution. Les Mauriciens vivent dans une démocratie mais ne savent pas ce qu’elle est réellement.

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