Dans son dernier rapport pour Maurice, publié le 5 septembre, le Comité des Nations Unies pour les droits des personnes handicapées a exprimé de nombreuses préoccupations concernant le traitement des personnes en situation de handicap. Cette situation ne surprend pas Ali Jookhun, fondateur de l’Association U-Link/Down Syndrome. Selon lui, la lenteur des progrès est due à une bureaucratie excessive qui freine l’avancement des droits des personnes handicapées.
Le dernier rapport du Committee on the Rights of Persons with Disabilities sur Maurice souligne pas moins de 68 points de préoccupations. Ce nombre élevé vous surprend-il ?
Maurice a signé la Convention on the Rights of Persons with Disabilities (CRPD) le 25 septembre 2007 et l’a ratifiée le 8 janvier 2010. Bien que les 50 articles de la CRPD expriment des intentions louables, il est regrettable que ces intentions ne se traduisent pas toujours en actions concrètes. Les 68 points soulevés sont préoccupants et auraient pu être évités, malheureusement en raison d’une bureaucratie excessive dans ce domaine.
Evaluation par le Medical Board : il faut une approche fondée sur les droits de l’homme»
Le comité a jugé que le terme Basic Invalidity Pension est « dégradant » et propose de permettre aux bénéficiaires de cumuler cette pension avec la pension de retraite à partir de 60 ans. Est-ce réalisable, selon vous ?
Le terme « invalide » est désormais considéré comme péjoratif, obsolète, voire stigmatisant. Il peut véhiculer des connotations négatives concernant les capacités ou la valeur d’une personne. Je propose d’adopter un terme plus approprié, tel que « pensions de soutien pour personnes handicapées ». En ce qui concerne le montant des pensions, ce n’est pas un problème récent. Déjà, en réponse à une question parlementaire le 30 mars 2010, la ministre de la Sécurité sociale, d’alors avait indiqué, en substance, qu’elle ne considérait pas comme judicieux d’octroyer deux pensions non contributives à une même personne. Il convient toutefois de reconnaître que la révision du critère d’âge pour l’éligibilité des enfants de moins de 15 ans aux pensions représente un progrès depuis 2014. Mes jumelles décédées n’étaient pas éligibles en raison de cette barrière d’âge. De plus, la suppression du critère d’âge pour les visites à domicile des personnes alitées ou ayant des handicaps sévères est un pas en avant. Cependant, il reste encore du chemin à parcourir.
Vous avez souvent critiqué l’approche « médicale » du Medical Board pour l’évaluation des personnes handicapées en vue de l’attribution d’une pension. Le comité semble partager votre avis…
Je parle d’expérience, ayant soutenu plusieurs personnes de mon organisation tout au long de ce processus médical. Mes critiques n’étaient pas démagogiques, mais constructives, accompagnées de plusieurs recommandations pour améliorer un système qui aurait dû être révisé depuis longtemps – une question que j’avais soulevée bien avant 2004-2005. J’ai attiré l’attention sur ce problème à plusieurs reprises, mais c’était comme crier dans le vide ; mes suggestions ont été systématiquement ignorées. Nous n’aurions pas eu besoin d’attendre ce rapport, car le problème aurait pu être résolu bien plus tôt. Cette situation est vraiment frustrante pour moi.
Le comité a également souligné le « fardeau excessif » imposé aux personnes handicapées qui doivent se présenter périodiquement devant le Medical Board pour une réévaluation. Or, vous n’avez cessé d’attirer l’attention sur ce problème, notamment pour les personnes trisomiques…
Il est préoccupant de constater que les responsables de cette unité ne tiennent pas compte de cette approche. Il est grand temps de passer à une approche fondée sur les droits de l’homme. La méthodologie actuelle a échoué à répondre de manière adéquate aux besoins et aux droits des personnes handicapées, entraînant des lacunes persistantes dans la qualité des services et le respect des politiques. Adopter une approche basée sur les droits de l’homme assurera que nos pratiques soient alignées avec les principes fondamentaux d’égalité, de dignité et de respect.
Le terme ‘invalide’ est péjoratif, obsolète, stigmatisant»
Le comité met en lumière l’insuffisance du soutien financier pour les dispositifs d’assistance tels que les fauteuils roulants et les aides auditives. Comment un retour à la fourniture directe de ces dispositifs pourrait-il résoudre ces défis liés à cette inadéquation financière ?
Le soutien aux personnes handicapées doit être abordé de manière personnalisée plutôt que par une approche unique pour tous. Il est préférable de permettre aux individus de choisir des équipements adaptés à leurs besoins spécifiques, tels que des fauteuils roulants ou des appareils auditifs, plutôt que de fournir directement du matériel standardisé. Aujourd’hui, ces équipements sont disponibles auprès de divers fournisseurs, avec des services après-vente et des garanties. L’aide financière devrait être réévaluée après consultation des personnes concernées et de toutes les parties prenantes, afin de garantir que le soutien apporté est vraiment adapté aux besoins de chacun.
L’article 11 du rapport, concernant les « situations de risque et les urgences humanitaires », mentionne six préoccupations majeures. Le comité déplore une « absence de considération » pour les personnes handicapées dans la Climate Change Act 2020 et les stratégies nationales d’adaptation au changement climatique. Pensez-vous que les personnes handicapées ont été négligées dans ces politiques ?
Lors d’une exposition organisée par l’équipe des services d’urgence au centre commercial Bagatelle, j’ai été surpris par leur méconnaissance de l’Article 11 de la CRPD. Cet incident met en lumière l’énorme lacune en matière de connaissance des droits et protections dus aux personnes handicapées, en particulier dans les situations de risque. Pour une protection efficace, il est essentiel que les personnes handicapées ou leurs représentants participent aux processus de décision relatifs à la préparation et à la réponse aux urgences. Leur contribution est cruciale, car ils apportent des perspectives vitales sur les défis spécifiques auxquels ils sont confrontés et peuvent orienter vers des solutions plus efficaces et inclusives.
Le rapport note également un manque de représentativité des personnes handicapées parmi les élus. Selon vous, les partis politiques négligent-ils cette partie de la population ?
Malheureusement, à Maurice, il existe un retard significatif en matière de valorisation et d’acceptation des personnes handicapées au sein des partis politiques traditionnels. Pour remédier à cette situation, il est crucial que les dirigeants politiques mauriciens fassent un effort concerté pour inclure les personnes handicapées, non seulement comme membres, mais aussi comme candidates aux élections. Cela témoignerait d’un véritable engagement en faveur d’une représentation équitable, remettrait en question les stéréotypes existants et garantirait que le système politique reflète mieux la diversité de la population. Ce n’est qu’en agissant ainsi que nous pourrons espérer construire une démocratie véritablement inclusive et représentative.
Des exemples dans le monde incluent Naddy Zialor des Seychelles, atteint de paralysie cérébrale, Thembi Nkadimeng d’Afrique du Sud, utilisatrice de fauteuil roulant, Michael McCarthy d’Australie, ayant un handicap visuel, et Haben Girma des États-Unis, sourde et aveugle, parmi d’autres.
Le soutien aux personnes handicapées doit être abordé de manière personnalisée…»
Le comité appelle à sanctionner les employeurs qui ne respectent pas le quota d’emploi des personnes handicapées. Pensez-vous que les autorités sont trop clémentes à ce sujet ?
L’éducation et la formation professionnelle sont cruciales pour préparer les jeunes et les adultes handicapés à entrer sur le marché du travail. Cependant, notre système éducatif n’est pas encore pleinement inclusif et manque des aménagements nécessaires pour répondre aux besoins spécifiques des apprenants handicapés. Sans une éducation adéquate, les personnes handicapées se retrouvent désavantagées lors de la recherche d’emploi, indépendamment des intentions des quotas. Les quotas, à eux seuls, ne garantissent pas que les personnes handicapées seront recrutées pour des postes correspondant à leurs compétences. Parfois, les quotas peuvent même entraîner du clientélisme, où les employeurs embauchent des personnes handicapées uniquement pour atteindre des objectifs, sans traiter les problèmes plus profonds liés à l’aménagement raisonnable sur le lieu de travail.
En tant qu’ancien membre du conseil d’administration de la Special Education Needs Authority, pensez-vous qu’il serait faisable d’intégrer les enfants handicapés dans des établissements « mainstream » comme le suggère le comité ?
L’éducation inclusive ne se limite pas à transmettre des connaissances académiques aux apprenants handicapés ; elle vise également à les habiliter à participer pleinement à la société. Cette approche favorise l’indépendance, développe les compétences sociales et renforce la confiance en soi, aidant ainsi les jeunes et les adultes handicapés à surmonter la stigmatisation et la marginalisation qu’ils rencontrent souvent.
Un aspect fondamental de l’éducation inclusive est la reconnaissance de l’unicité de chaque apprenant et la diversité de ses besoins éducatifs. Certains peuvent nécessiter un soutien supplémentaire sous forme de plans d’éducation individualisés (PEI), de services paramédicaux, de counseling ou d’assistance personnalisée. Les modèles d’éducation inclusive privilégient l’adaptation de l’enseignement aux besoins spécifiques de chaque élève, plutôt que d’imposer des normes rigides et uniformes.
Alors que le gouvernement prévoit la construction de 12 000 logements sociaux, le comité juge que le taux de 4% (représentant moins de 500 logements) réservés aux personnes handicapées est insuffisant. Quel pourcentage, selon vous, serait adéquat et pourquoi ?
Sans données, il est difficile d’évaluer si les options de logement accessibles et adaptées sont suffisantes et d’identifier les domaines nécessitant des améliorations. Seules des données précises et actualisées peuvent fournir une vue claire sur la demande actuelle de logements accessibles et les aménagements spécifiques nécessaires.
Vous avez récemment été élu membre de l’African Disability Forum (ADF). Quels sont vos objectifs pour renforcer et unifier les voix des personnes handicapées, de leurs familles et des organisations à travers l’Afrique au cours des quatre prochaines années de votre mandat ?
Mon élection en tant que membre représentant les organisations de familles ayant des membres handicapés au sein de l’ADF marque le début d’une nouvelle aventure pour moi. Depuis la naissance de mes jumelles en 1993, je me suis engagée avec détermination. Avec une passion renouvelée et une vision claire pour l’avenir, j’ai de nombreux projets en tête que je suis impatient de partager lors de notre première réunion. Mon objectif est de garantir que tous les membres soient alignés et puissent contribuer efficacement.
Pour conclure sur une note positive, Maurice a remporté sa première médaille aux Jeux Paralympiques grâce à Yovanni Philippe, et en mai, Noemi Alphonse est devenue championne du monde du 100m. Que représente pour vous ce succès et comment cela reflète-t-il les capacités et les réalisations des athlètes handicapés ?
Gagner des médailles est toujours une source de fierté, mais lorsque des athlètes handicapés y parviennent, c’est encore plus significatif, notamment pour la communauté des personnes handicapées et leurs familles. Ils deviennent alors nos héros et un symbole de fierté pour notre île. Il est impératif que nos gymnases et complexes sportifs soient accessibles à tous. Les activités sportives devraient être une priorité dans les écoles.
À l’association Down Syndrome, nous collaborons avec le MBJJ – Mauritius Brazilian Jiu-Jitsu et le complexe sportif d’Emirates sous la direction de deux professionnels, Tawfic Jaunbacus et Anouska Zuel. De plus, intégrer des programmes sportifs dans les écoles favorise l’inclusivité dès le plus jeune âge et assure des opportunités égales pour tous