Friday , 29 March 2024
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Le nikah des mineures : quand l’union divise

La mort de la jeune Ruwaidah (13 ans), mariée et enceinte de trois mois, a soulevé une vague de polémiques au cours de la semaine écoulée. Le mariage religieux, connu comme le nikah en islam, établit plusieurs règles concernant l’âge et la maturité de celui ou celle qui contracte cette union sacrée. Explications et éclaircissements.

L’amour n’a pas d’âge, dit-on. Mais le mariage oui ! À Maurice, le mariage des mineures n’est pas autorisé. Mais dans plusieurs cas, des nikah sont célébrés entre des adolescents pour plusieurs raisons. Le cas de Ruwaida divise les Mauriciens. Si certains avancent que le mariage à 13 ans est tout simplement une abomination, d’autres estiment que ces jeunes ont préféré contracter le nikah « afin de ne pas vivre dans l’adultère. » Lors de la reconstitution des faits, l’imam qui a célébré ce mariage religieux a déclaré que Ruwaidah voulait se suicider si on ne la marie pas à son bien-aimé, Farhan Arbaaz Nobeebux, 19 ans. Il a ajouté que c’est pour cette raison qu’il a accepté de célébrer le nikah.

Selon le Mufti Mackoojee, il existe plusieurs facteurs qui entrent en jeu lorsqu’il s’agit du mariage d’un mineur ou d’une mineure. La puberté, la maturité sexuelle et psychologique ainsi que la capacité de raisonner sont autant de critères à prendre en compte avant la célébration du nikah. « Il est important de comprendre que même le Prophète de l’islam (saw) nous a conseillé de nous marier seulement si nous avons la capacité de le faire. C’est-à-dire satisfaire les critères susmentionnés. Au cas contraire, le prophète Muhammad (saw) a recommandé d’observer le jeûne pour se protéger contre toute tentation », avance l’érudit islamique.


Ce que dit la loi

Me Fezal Boodhoo est catégorique : le mariage des mineures n’est pas légal à Maurice. L’âge légal pour le mariage est de 18 ans mais l’avocat avance qu’il est possible pour une personne de moins de 18 ans de contracter un mariage civil ou religieux si elle répond à trois conditions essentielles. Celles-ci sont :

• La personne ne doit pas être âgée de moins de 16 ans ;
• Il faut l’accord des parents des deux jeunes concernés par le mariage et ;
• Avoir l’autorisation d’un juge en chambre.

Ainsi, si une personne moins de 18 ans est capable de répondre à ces trois conditions, elle peut contracter un mariage civil ou le nikah. « Malgré le fait que le nikah est le seul mariage religieux qui est reconnu à Maurice, la personne concernée par le mariage doit répondre également à ces critères établis selon les dispositions de nos lois », fait comprendre Me Fezal Boodhoo.


 Ce qui dit l’islam

Me Fezal Boodhoo avance qu’il est impératif de différencier entre deux types de majorité en islam eu égard au mariage. « Il y a la majorité de puberté et la majorité de raisonnement. Les juristes, se basant sur les spécificités de leur contexte et du lieu où ils résident, ont des interprétations différentes. Dans le coran aux versets 2, 3 et 4 de la sourate An-Nisa, mention est faite du mariage mais l’âge de la femme n’est pas mentionné », souligne l’avocat.

Ainsi, Me Boodhoo soutient que les juristes ont établi l’âge minimum et maximum de puberté pour une fille. « L’âge minimum est de 9 ans et l’âge maximum est de 15 ans », nous dit-il. Il ajoute, par ailleurs, que le mariage est synonyme d’un contrat. « En islam, on parle alors de contrat de nikah. Et pour le contracter, il faut atteindre la majorité de raisonnement car le but principal du mariage, c’est de bâtir une famille et de contribuer à une société saine. C’est pourquoi l’islam met l’accent sur la capacité physique, mentale et financière de la personne qui veut se marier », avance notre interlocuteur.

Le raisonnement

Me Fezal Boodhoo indique aussi que les opinions des juristes divergent concernant le niveau de raisonnement d’une personne mais qu’en se basant sur la conjoncture d’alors, ceux-ci ont avancé que l’âge majoritaire de raisonnement est de 15 ans. « Ils se sont basés sur le fonctionnement de la société à l’époque mais notre pays a beaucoup évolué. Même le Pakistan qui est majoritairement de l’école de pensée Hanafi se base sur le contexte actuel tout comme l’Égypte qui suit plutôt l’école de pensée Shafei’i en fait de même. Il est donc important de faire une analyse de notre contexte à Maurice et prendre en considération l’évolution du pays », soutient-il.


Le rôle de l’imam dans le nikah

Contrairement à la croyance populaire, le rôle de l’imam est secondaire dans la célébration du nikah. Selon le Mufti Mackoojee, le nikah est un contrat religieux entre un homme et une femme entre lesquels n’existe aucune relation consanguine. « Le nikah doit se faire devant deux témoins musulmans au minimum. Il faut aussi qu’il y ait la proposition du nikah et l’acceptation verbale formulée au passé composé. La présence de l’imam ou du maulana n’apporte qu’une dimension officielle au nikah », avance-t-il.

Me Fezal Boodhoo ajoute qu’il faut trois conditions pour la célébration d’un nikah : (1) deux témoins, (2) le wali ou tuteur de la fille si celle-ci est encore vierge et (3) la dot ou mohar. « Il faut aussi comprendre l’objet du nikah. L’imam, lui, agit comme un enregistreur (recorder) et le nikah peut être célébré sans sa présence également », fait ressortir l’avocat.

Mufti Mackoojee cite en exemple le cas de quatre jeunes personnes(3 garçons et 1 fille) qui se promènent dans un lieu quelconque. « Si tout d’un coup, la fille dit à son copain qu’elle accepte le nikah et que le jeune homme  acquiesce en présence de leurs deux autres camarades, le nikah est validé. C’est pour vous démontrer toute la subtilité du nikah et que le rôle d’un imam n’est que secondaire », dit-il.


Validation du nikah

Par ailleurs, une des clauses importantes du nikah est la dot (mohar). Mais selon Mufti Mackoojee, l’absence du mohar au moment du nikah n’invalide pas le mariage. « Néanmoins, en cas de non-paiement de la dot après le nikah, la femme peut refuser d’aller vers son mari », dit-il. Le montant de la dot est de 10 dirhams, soit Rs 1600, dans le contexte actuel. Mufti Mackoojee soutient également que le consentement revient uniquement à la fille. « Personne n’a le droit de forcer une fille de contracter le nikah. En cas de pression de la part des parents ou d’autres personnes, le nikah n’est pas valable », fait-il comprendre.


Mufti Mackoojee : «Le nikah, un bouclier contre l’adultère»

Mufti Mackoojee estime que l’islam offre une plus grande ouverture concernant l’admissibilté du nikah. Cela, pour que les musulmans s’éloignent de l’adultère et aussi pour éviter des cas monoparentaux. « Le nikah agit comme un bouclier contre l’adultère. Aussi, il évite aux enfants de grandir sans leurs parents. D’ailleurs, de nos jours, nous voyons plusieurs cas où des jeunes mamans doivent élever leurs enfants seules. Cela a un impact psychologique sur la maman et aussi sur l’enfant », dit-il. Il ajoute que le nikah vise aussi à contrer les problèmes qui ont trait à l’illégitimité de l’enfant né en dehors du mariage.

Il estime qu’il y a aujourd’hui un rajeunissement de la maturité physique et aussi sexuelle de l’enfant. Il est impératif de pouvoir gérer cela dans un cadre légal. « Il est vraiment dommage que la société n’accepte pas le nikah mais tolère néanmoins le concubinage. Mais pour pouvoir contracter le nikah, il faut atteindre la maturité. Cela peut varier d’une personne à une autre. C’est pourquoi j’estime qu’il est préférable d’attendre l’âge de la maturité légale, soit 18 ans, pour contracter le nikah », avance le religieux.


Me Feroza Moolna, de la MFC : «Seuls les nikahs célébrés par des imams enregistrés au MFC  sont considérés»

Me Feroza Maudarbocus-Moolna, Chairperson du Muslim Family Council (MFC), nous indique que l’organisme ne considère que les mariages religieux célébrés par les imams dont les noms sont enregistrés auprès du MFC. « Les mariages des personnes âgées de moins de 16 ans ne sont pas enregistrés. Si nous recevons de telles demandes, nous référons le cas à la police. Mais il existe aussi la possibilité que de tels nikahs soient célébrés par des imams dont les noms ne figurent pas dans le registre du MFC », nous dit-elle. Me Moolna indique aussi qu’il existe des mécanismes de réconciliation dans le cas où un nikah ne marche pas. « Mais nous agissons uniquement selon les dispositions de la loi », conclut-elle.


Farhad Aumeer, gynécologue : «La grossesse précoce pousse à l’avortement»

Farhad AumeerLe Dr Farhad Aumeer, consultant en gynécologie, est formel: le problème des grossesses précoces prend des proportions épidémiques. Pour lui, l’introduction de  l’éducation sexuelle à l’école est plus que jamais nécessaire.

Quels sont les facteurs qui contribuent à la grossesse précoce?
De par mon expérience de 18 ans comme gynécologue à Maurice et de 10 ans en Europe, je dirais que le phénomène dont on parle est devenu une épidémie, non seulement à Maurice, mais aussi dans les pays en voie de développement, dans les pays sous-développés et dans les grandes villes des pays développés.  À Maurice les statistiques des trois à quatre dernières années montrent clairement que le nombre de grossesses chez les adolescentes est en hausse. En 2017, le nombre de cas enregistrés était de 208. La précocité de grossesse est en dessous de l’âge de 16 ans pour certains pays et de 18 ans pour d’autres pays. Mais ce qui nous préoccupe ce sont les adolescentes qui tombent enceintes entre 10 et 16 ans.

Quelle couche sociale touche ce phénomène?
C’est très facile de stigmatiser ces jeunes filles. Mais la grossesse précoce n’est pas liée seulement aux adolescentes des milieux défavorisés. La grossesse précoce touche aussi des filles de bonne  famille qui bénéficient  d’un bon encadrement et d’une bonne éducation et  qui ont un bon statut social.

La seule différence est que les filles pauvres ont recours aux services publics et dépendent de l’aide sociale. Par contre, les enfants des riches dans les mêmes situations gèrent tranquillement la situation. Pour revenir à votre première question, je dirais que les facteurs qui contribuent à la grossesse précoce sont la manque d’éducation, la non utilisation du préservatif, l’environnement de la famille et la violence. Il y a aussi un groupe de filles qui sont en quête de liberté émotionnelle et sociale. Une fille sous l’emprise de la drogue ne se rend pas compte de ce qu’elle fait. Il y a aussi les filles qui ont une vie sexuelle débridée.

Quels sont les dangers qui guettent une jeune fille de 12 à 13 ans qui tombe enceinte?
La grossesse précoce est très dangereuse pour elle. Elle court le risque de souffrir d’hypertension et d’anémie et d’autres complications de santé. Le manque de préparation psychologique lors d’une césarienne peut aussi avoir un effet dévastateur sur elle. Il y a aussi le problème psychologique pour accueillir le bébé à la naissance.

Q: Faut -il prendre en considération le refus de paternité par le père?
Certainement. Il ne faut pas occulter l’aspect émotionnel entre la future maman et le papa. Car souvent la relation qui existe entre les deux tourne en catastrophe avant l’arrivée du bébé .Il existe des cas d’agression de violence et souvent la séparation. Il faut prendre en considération la séparation du bébé.

Q: Quel est l’âge idéal pour une fille de mettre au monde un bébé?
Il n’y a pas d’âge idéal pour une fille de donner naissance à un bébé. La conception d’un bébé et le droit d’avoir des relations sexuelles pour mettre au monde un bébé doivent a priori être en conformité avec les lois du pays. À Maurice et dans beaucoup d’autres pays, l’âge de mettre au monde un bébé tourne autour de 16 ans avec l’approbation des parents et à 18 ans qui est l’âge légal. Mais avec l’avènement de l’émancipation de la femme dans le monde du travail, il est clair que l’âge de donner naissance à un bébé tourne autour de 25 à 30 ans.

Quel  est le regard de la société sur les jeunes enfants qui tombent enceintes alors qu’elles sont encore scolarisées?
Nous vivons dans une société conservatrice où les gens n’acceptent pas que des filles encore enfants qui devaient se trouver sur les bancs de l’école tombent enceintes. Le rejet de la société pousse les filles vers l’avortement surtout que la grossesse précoce est illégale. Il y a l’abandon du cursus scolaire, la stigmatisation de la société, les palabres, le mauvais regard, le rejet par les bons amis. Bref, toute une vie brisée. La société mauricienne n’est pas prête à accepter qu’une fille de 12 à 13 ans tombe enceinte.

Parlons, voulez-vous, du cas de la jeune fille de 13 ans qui s’est terminé par un drame.
Il y a plusieurs facteurs à prendre en considération. La fille, encore adolescente, est tombée enceinte après avoir obtenu la bénédiction des parents pour contracter un mariage religieux devant des centaines de témoins. Selon les renseignements fournis par les parents dans les médias, la fille les a forcés à la marier  en menaçant de mettre fin à ses jours s’ils s’opposaient à cette union. La fille a des antécédents médicaux et souffrait d’asthme et d’épilepsie. Elle suivait un traitement pour grossesse chez un médecin. À mon avis, si elle est en bas d’âge et avec autant d’antécedents médicaux cette grossesses aurait dû être suivie conjointement par un médecin interniste et un gynécologue surtout pour les risques présents pour la maman et le bébé.

Ce qui me fait dire que le gouvernement à un devoir d’introduire l’éducation sexuelle dès le primaire. On fait une campagne de vaccination contre le cancer du col de l’utérus dès le primaire. On sait très bien que le risque d’avoir le cancer du col de l’utérus dans la majorité des cas est transmis par un virus que les filles contractent en étant sexuellement actives. Donc l’hypocrisie dans cette campagne de vaccination est qu’on est conscient que certaines de nos filles doivent être sexuellement actives à l’âge de 12 à 15 ans. Pourquoi ne pas mettre sur pied un programme du même type pour l’introduction de l’éducation sexuelle dans les écoles, à la télévision et dans des centres de jeunesse ?

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