Friday , 29 March 2024
Jean Claude de l’Estrac

Jean Claude de l’Estrac : «Effets d’annonce ? Non ! Là il s’agit de distribution de cadeaux»

Ancien ministre, historien et journaliste, Jean Claude de l’Estrac pose un regard critique sur le budget concocté par le ministre des Finances, Pravind Jugnauth. Pour lui, il s’agit ni plus ni moins que d’un jeu de séduction vis-à-vis des électeurs à l’approche de l’échéance électorale.

Quelle est votre lecture de la présentation du Budget 2019/2020 ?
Pravind Jugnauth a fait ce que tous les ministres des Finances font à la vieille d’une échéance électorale. Il avait quelques marges de manœuvre, il en a profité pour distribuer des bonbons à ces grands enfants que sont les électeurs. Cela dit, il a pris de gros risques sur le futur : c’est clair qu’il espère une poursuite de la croissance mondiale alors que l’on entend des experts économiques mondiaux des prédictions de ralentissement ; il mise sur une croissance nationale alors que les principaux secteurs productifs s’essoufflent. Miser sur la consommation dans un pays qui importe l’essentiel de ses besoins est contre-productif.

Miser sur la consommation dans un pays qui importe l’essentiel de ses besoins est contre-productif.»

Quels sont les manquements de ce budget ?
Je ne suis pas un expert économique mais si je me fie aux dernières consultations avec le Fonds monétaire international, le principal enjeu pour le pays, c’est le très haut niveau de son endettement et le déficit budgétaire.  Son tour de passe-passe qui consiste à puiser dans les caisses de la Banque centrale pour éponger la dette est un « colourable device » financier. Il ne règle pas le problème structurel.

Cela vous surprend que le Budget n’ait pas accordé d’attention à la relance des secteurs sucre et touristique ?
Je ne suis pas certain que ces mesures ponctuelles et palliatives soient une réponse adéquate. Pour l’industrie sucrière en particulier, le problème de fond est de déterminer quel est le niveau de production sucrière qu’il importe de conserver malgré la faiblesse du prix de vente et que faisons-nous des terres libérées de la canne ? La réponse me semble évidente dans un pays qui importe l’essentiel de ses aliments.  Pour le tourisme, l’enjeu c’est la connectivité : il faudra bien un jour choisir entre Air Mauritius et Mauritius…

Pour le tourisme, l’enjeu c’est la connectivité : il faudra bien un jour choisir entre Air Mauritius et Mauritius…»

Les avis sont partagés sur l’utilisation des réserves de la Banque de Maurice pour éponger la dette publique. La politique monétaire ne devrait-elle pas être uniquement du ressort de la BoM ?
J’ai lu les analyses contradictoires des économistes sur la question, j’ai écouté le ministre Sinatambou qui a un raisonnement qui n’est pas farfelu. Mais la question de fond, c’est celle de l’indépendance des institutions. Si la caisse de la Banque centrale est aussi celle du gouvernement, et que le gouvernement peut en disposer quand bon lui semble, alors il n’y a plus d’indépendance.

D’un point de vue politique, ce dernier budget est-il rassurant pour Pravind Jugnauth ?
Je ne suis pas sûr que sa cote de popularité s’en trouve améliorée, en partie par sa faute parce qu’il avait fait monter les enchères avant la présentation du budget. Mais il a certainement consolidé une certaine image de ministre des Finances soucieux du social quitte à négliger les grands équilibres macro-économiques.

Pravind Jugnauth a très envie de faire la démonstration que le MSM est devenu le premier parti de Maurice. C’est un pari risqué, mais pas tant que cela.»

Les adversaires de Pravind Jugnauth n’ont pas tardé à critiquer le budget qualifiant celui-ci d’une « série d’effets d’annonce ». Est-il ainsi temps de revoir la façon dont est fait le budget chaque année car plusieurs mesures ne sont effectivement que des effets d’annonce ?
Effets d’annonce ? Non ! Là il s’agit de distribution de cadeaux. Le seul effet d’annonce, c’est celui concernant le budget alloué pour la réinstallation des Chagossiens dans l’archipel des Chagos. Bien sûr que cela ne pourra pas se faire tant que nous n’aurons pas été capables de négocier un accord avec les Britanniques pour une éventuelle rétrocession des autres îles de l’archipel, hors Diégo Garcia. Ce que le gouvernement fait croire aux Mauriciens est un mensonge d’État.

Sinon, quelle est votre analyse du paysage politique en ce moment ?
Je crois encore que nous nous dirigeons vers une clarification politique, les principaux partis se préparant à compter sur leurs propres forces électorales. Il y aura quelques regroupements, autour du Parti Travailliste et du MSM, mais la lutte se déroulera entre ces partis dominants. Mais ne soyons pas naïfs : les éternels agwa sont toujours actifs, et font le va-et-vient entre les protagonistes. Pour l’instant, ils butent sur les conditions d’un accord car même affaiblis les chefs de parti ont toujours de l’appétit…

Le seul effet d’annonce, c’est celui concernant le budget alloué pour la réinstallation des Chagossiens dans l’archipel des Chagos.»

Ce budget présenté par Pravind Jugnauth vient-il augmenter les rapports de force vis-à-vis de ses adversaires ?
Sans doute ! Mais le problème du MSM n’est pas tant Pravind Jugnauth ; je pense qu’il a une plutôt bonne image aux yeux du public comme à ceux de ses adversaires. Son problème, c’est la série de scandales qui ont terni l’image de son gouvernement. Là, sa responsabilité est engagée parce que ces scandales sont souvent le fait des cronies. Et la nomination des cronies, c’est le fait du prince.

Pensez-vous que le leader du MSM est condamné à contracter une alliance en vue des prochaines législatives ?
Non ! Je crois que Pravind Jugnauth a très envie de faire la démonstration que le MSM est devenu le premier parti de Maurice. C’est un pari risqué, mais pas tant que cela. Après, c’est une autre paire de manches: je ne vois aucun parti obtenir la majorité absolue dans le cas d’une lutte à trois, dans lequel cas, l’on s’acheminera vers une coalition post-électorale.

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