Thursday , 18 April 2024
Ahmed Parkar

Ahmed Parkar, de Star Knitwear : «Il nous faut des méthodes de production plus sophistiquées»

Le CEO de Star Knitwar, Ahmed Parkar, revient dans l’entretien qu’il nous a accordé sur la situation qui prévaut actuellement dans le secteur du textile. Selon lui, les usines n’arrivent pas à répondre à la demande existante faute de trésorerie stable. Il estime qu’il est temps pour les opérateurs d’investir dans des équipements plus modernes.

Deux usines mises sous administration judiciaire en l’espace de deux mois, d’autres qui connaissent des problèmes de trésorerie… À quoi peut-on attribuer la crise qui sévit dans le secteur du textile actuellement ?
Il faut avant tout comprendre que les problèmes auxquels font face les usines textiles ne datent pas d’hier. Cela a débuté depuis la crise financière internationale au début des années 2000. Avant cela, ce secteur était « on the right track ». Nous avions eu des usines performantes et l’investissement était réel. Mais un autre problème a surgi entretemps : l’appréciation de la roupie vis-à-vis de la livre sterling. Les opérateurs mauriciens étaient affectés dans la mesure où cela avait grandement impacté sur la rentabilité des usines. La crise mondiale avait aussi une répercussion directe sur la demande des produits textiles mauriciens. Parallèlement, depuis 2010, les banques se sont « fragilisées » face aux effets de la crise financière. Elles ont, de ce fait, adopté des stratégies plus rigides concernant les lignes de crédits octroyées aux opérateurs du textile. La hausse des prix des intrants n’a pas arrangé les choses. Donc, tous ces facteurs ont, au fil des années, contribué à fragiliser davantage le secteur du textile et aujourd’hui, nous voyons que le problème auquel font face les usines c’est le manque de liquidité. C’est comme un cercle vicieux.

Le salaire minimal est une décision gouvernementale visant à améliorer la vie des petits employés»

Pensez-vous qu’à l’instar de l’industrie cannière, celle du textile a déjà vécu ses heures de gloire ?
Non, pas du tout ! Car la demande pour les produits textiles mauriciens existe toujours. Mais comme je vous l’ai dit, le problème des usines, c’est un manque de « cashflow ». Celles-ci n’arrivent plus à se restructurer pour pouvoir répondre à la demande. Malheureusement à Maurice, nous n’avons pas les accompagnements adaptés pour aider ces entreprises. En Inde, par exemple, il existe des « Special Packages » pour aider les usines qui font face à ce genre de problème. Des banques indiennes spécialisées travaillent également en collaboration avec les opérateurs et ont une connaissance de la façon dont fonctionnent les usines. Or, à Maurice tel n’est pas le cas.

Êtes-vous de ceux qui estiment que c’est l’introduction du salaire minimal qui est en train de causer du tort à l’industrie du textile ?
Certes, l’introduction du salaire minimal a eu son impact sur le secteur mais ce n’est pas le seul élément qui a contribué à fragiliser le secteur du textile. Le salaire minimal est une décision gouvernementale visant à améliorer la vie des petits employés. On ne peut critiquer le fait qu’une personne puisse bénéficier d’un salaire décent. D’autre part, la hausse des prix des intrants et le manque de liquidités continuent à causer du tort à l’industrie.

Avons-nous les moyens de remettre le textile sur les rails ?
L’industrie du textile n’est pas morte. Elle traverse une période délicate comme c’était le cas dans le passé. Certaines personnes, pour des raisons qu’on ignore, veulent faire croire que tout va mal dans ce secteur. On ne peut pas être aussi négatif et pessimiste. Au contraire, il faut se réunir et essayer de trouver des solutions concrètes pour redynamiser l’industrie et la rendre plus compétitive. Cela à travers l’investissement et l’apport de nouveaux équipements.

On souhaite aussi qu’il y ait des mesures d’accompagnement pour aider les entreprises qui sont en difficultés»

Est-il ainsi temps de revoir le modèle de ce secteur ?
Pas forcément car le problème n’est pas lié directement aux produits proposés. Ce qu’il nous faut, ce sont des méthodes de production plus sophistiquée. Je vous donne un exemple : si vous avez une mine d’or mais vous ne disposez d’aucun outil ou d’équipement pour extraire le métal, cela ne sert à rien. Idem pour l’industrie du textile. Si les usines n’ont pas d’équipements sophistiqués, il est certain qu’elles ne pourront tenir tête aux compétiteurs.

Et justement, en termes de modernisation, que peut-on apporter à ce secteur qui compte toujours des milliers d’employés ?
Ce qu’il nous faut, c’est un « Modernisation Scheme Grant » afin de soulager financièrement les opérateurs dans le long terme. Cela leur permettrait également d’investir dans des équipements plus modernes et replacer ceux devenus obsolètes. De ce fait, toute la chaîne de production sera plus efficace. Aussi, le bureau du Premier ministre vient d’annoncer l’ouverture prochaine des consultations pré-budgétaires. Des mesures pour relancer le textile sont à l’agenda. J’estime qu’il faut mettre l’accent sur la façon dont est fait le marketing de ce secteur. On souhaite aussi qu’il y ait des mesures d’accompagnement pour aider les entreprises qui sont en difficultés. On ne demande pas des mesures farfelues mais seulement celles qui pourront aider à relancer les opérations car comme je vous l’ai dit, la demande existe déjà.

Ce que nous recherchons avant tout, c’est la stabilité. C’est ce que nous garantissent les marchés traditionnels…»

Maurice a toujours misé sur ses marchés traditionnels. Pensez-vous qu’il faut partir à la conquête d’autres marchés ?
Vous savez, nous n’allons pas réinventer la roue. Les marchés sur lesquels nous misons sont déjà compliqués mais ce sont des marchés riches qui permettent d’écouler beaucoup de produits. On a essayé d’aller conquérir des marchés régionaux comme ceux en Afrique du Sud mais face à la baisse du rand, tout s’est compliqué. Ce que nous recherchons avant tout, c’est la stabilité. C’est ce que nous garantissent les marchés traditionnels tels que l’Europe et les États-Unis. Pour les autres marchés, à l’instar de l’Asie, il va falloir miser sur les marques de fabrique.

Craignez-vous toujours que le Brexit (reporté à nouveau par le Parlement britannique) soit une menace pour le textile mauricien ?
Le Brexit concerne les Britanniques mais s’il se concrétise et que cela ait une répercussion sur l’économie du Royaume-Uni, dans ce cas, nous pourrions être affectés.

Concernant la main d’œuvre, Maurice est-il réellement dépendant des travailleurs étrangers ?
Oui, à 200% ! Car la moitié de la main d’œuvre dans ce secteur est étrangère. Les Mauriciens ne veulent plus travailler dans ce domaine mais on les comprend. Aujourd’hui, avec l’éducation et le développement qu’a connus Maurice, ils ont beaucoup plus d’ouverture sur le marché de l’emploi. Tout cela s’explique aussi par la transformation de la société mauricienne. C’est pourquoi aujourd’hui, le secteur du textile doit avoir énormément recours à la main-d’œuvre étrangère.

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