C’est une histoire qui glace le sang et qui révèle avec brutalité la fragilité de nos aînés face aux nouvelles formes d’escroquerie.
À Plaine-Verte, Mohammad Rafik, 77 ans, et son épouse Bibi Fawzia, 69 ans, pensaient vivre leurs vieux jours dans une modeste tranquillité, rythmée par les prières, les visites des proches et les petites habitudes quotidiennes. Mais le 1er septembre 2025, ce quotidien a volé en éclats : en quelques jours, les économies d’une vie, leur unique filet de sécurité, se sont envolées comme du sable entre leurs doigts.
Ce lundi-là, Mohammad, que ses proches appellent affectueusement Bhai Rafik, se rend à la succursale de la SBM de la rue SSR (ex-Desforges), comme il en a l’habitude à chaque début de mois. Sa mission est simple : retirer la pension mensuelle de son épouse, une somme modeste mais cruciale pour couvrir les dépenses du foyer. Mais ce qui devait être une formalité s’est transformée en cauchemar.
Derrière le guichet, l’employé le regarde avec étonnement et prononce une phrase qui fige le vieil homme : « Mo pa trouve okenn larzan lor ou kont, misier… »
Bhai Rafik reste d’abord sans voix. Comment leur compte peut-il être vide ? Eux qui n’ont jamais utilisé de carte bancaire, qui ont toujours privilégié les transactions au guichet pour plus de sécurité.
La terrible découverte
Dans la confusion, il se rend aussitôt au bureau des pensions, à Astor Court, pour vérifier si le versement avait bien été effectué. Là, un fonctionnaire confirme que l’argent a bel et bien été crédité. L’espoir d’une erreur administrative s’évanouit.
De retour à la banque, Bhai Rafik apprend la vérité : deux retraits ont été effectués via un guichet automatique. Le premier, le 21 août, d’un montant dérisoire de Rs 100, probablement pour « tester » la carte. Le second, le 1er septembre, beaucoup plus brutal : Rs 16 800, soit la totalité de la pension de Bibi Fawzia.
Pour ce couple de retraités, ce n’est pas seulement une perte financière, mais une catastrophe. Chaque roupie compte, chaque note de 100 est une bouée de survie. « Nou pena okenn kart ATM. Nou pa finn donn personn lotorizasyon. Nou viv zis lor sa pension-la. Kouma sa kapav arive ? » lâche le septuagénaire, les yeux rougis par les larmes.
Le cri de détresse de Bibi Fawzia
À la maison, l’annonce tombe comme une bombe. Bibi Fawzia, frêle et fatiguée par les années, peine à contenir son désarroi. Elle s’effondre : « Sa larzan-la, li pou medikaman, pou dilo, pou kouran, pou lokasyon. Mo mari li mem malad. Ki manyer nou pu fer ? »
Ces mots, dits d’une voix tremblante, résonnent comme un appel au secours. Pour ce couple, cette pension n’est pas seulement une somme d’argent, c’est une question de dignité, de survie.
Une enquête ouverte
Mercredi, main dans la main, Bhai Rafik et son épouse se rendent au poste de police de Trou-Fanfaron. Ils consignent une déposition pour fraude électronique. La police a ouvert une enquête. Le lieu a été inspecté par les enquêteurs du CID et du DCIU. Mais le mystère reste entier : comment quelqu’un a-t-il pu accéder à leur compte sans carte, sans code, sans autorisation ? Est-ce une faille du système bancaire ? Un abus de confiance interne ? Ou une fraude sophistiquée ? Pour l’instant, aucune réponse.
Au-delà de la perte matérielle, c’est l’âme même du couple qui a été blessée. Leur dignité, déjà mise à rude épreuve par l’âge et la maladie, se retrouve piétinée. « Nou tou sel. Allah ki koner dan ki sitiasion difisil nou ete. Nou pe depans pres Rs 9000 zis pou loyer, dilo ek kouran. Leres fini dan meksinn ek manze. Nou tini zis sa ti pension pou viv. Si mem sa disparet aster, ki rester pou nou ? » confie Bhai Rafik, accablé.
Un schéma qui se répète
Plus troublant encore : ce n’est pas la première fois que le couple vit un tel cauchemar. En 2024 déjà, pendant cinq mois consécutifs, la pension de Bibi Fawzia avait mystérieusement disparu. Une plainte avait alors été déposée, mais l’affaire s’était enlisée. Aujourd’hui, l’histoire se répète, comme une blessure rouverte.
« Mo krwar zis Allah kapav donn nou rozi. Bann dimounn inn fini vinn tro mauvai. Zordi nou bizin atann prosen pension pou ki nou kapav repran enpe souf », soupire le vieil homme, les mains tremblantes.
Un appel désespéré aux autorités
Dans leur désarroi, le couple lance un appel pressant : « Nou demande CID ek bann lotorite ki pe fer lanket pou ed nou, pou retrouv sa bann dimounn-la. Pa zis pou nou, me pou tou bann lezot vie dimounn ki kapav tom ladan. » Leur voix tremble, mais leur message est clair : il faut agir pour protéger les retraités, souvent perdus face aux nouvelles technologies bancaires et vulnérables aux escroqueries électroniques.
Cette affaire met aussi en lumière une réalité dérangeante : les systèmes bancaires, censés protéger les économies des citoyens, ne sont pas infaillibles. Pour les personnes âgées, qui n’utilisent pas les cartes ni les applications mobiles, ces « nouvelles fraudes » sont incompréhensibles. Elles vivent dans la peur de voir disparaître, en un clic, ce qu’elles ont mis des décennies à épargner.
Une vie suspendue à une pension
En attendant que la lumière soit faite, Mohammad Rafik et Bibi Fawzia vivent au jour le jour, dans l’angoisse permanente. Sans économies, dépendants de cette pension, ils ne savent pas comment traverser le mois. « Nou ti kwar sa pension la ti enn sekirite. Zordi, nou pa mem kone si nou pu kapav al tir larzan le mwa prosin », murmurent-ils.
Pour ce couple meurtri, le mal est déjà fait. Car derrière les chiffres, derrière les procédures policières, il y a deux êtres humains qui se sentent abandonnés et dépouillés, non seulement de leur argent, mais de leur droit le plus élémentaire : vivre leurs vieux jours avec un minimum de dignité.