- Nadrah et Mushiirah vont contester la décision de l’ERT en Cour suprême
L’Employment Relations Tribunal (ERT) a jugé injustifié le licenciement de deux employées voilées d’ENSafrica (Mauritius), mais a refusé leur réintégration, estimant la relation avec l’employeur « irrémédiablement rompue ».
Déçues, les deux femmes comptent saisir la Cour suprême pour contester cette décision. Leur avocat, Me Imtihaz Mamoojee, Senior Counsel, dénonce une décision « inique » et « dangereuse », affirmant qu’ENSafrica n’a « pas apporté un iota d’évidence » pour justifier la rupture du lien de confiance.
Le 9 octobre 2025, l’Employment Relations Tribunal (ERT) a rendu sa décision dans les affaires ERT/RN 56/25 et ERT/RN 57/25, opposant deux anciennes employées d’ENSafrica (Mauritius) – Nadrah Bintee Diouman-Ameer et Mushiirah Hanna Humeirah Aubdoollah – à leur ex-employeur.
Le Tribunal a jugé leur licenciement injustifié, mais a estimé que la relation entre les parties était désormais irrémédiablement rompue, écartant ainsi la réintégration demandée par les plaignantes. ENSafrica devra leur verser une indemnité de licenciement (severance allowance) conformément à la Workers’ Rights Act 2019.
Contacté par STAR, Me Imtihaz Mamoojee, avocat des deux employées, a vivement réagi à la décision du Tribunal : « Mes clientes sont clairement déçues par la décision du ERT et comptent aller de l’avant avec un judicial review de ladite décision devant la Cour suprême. À mon humble avis, c’est une décision inique et elle crée un dangereux précédent. Pour rappel, l’employeur de ces deux dames n’a pas apporté un iota d’évidence devant l’ERT pour démontrer que la relation employeur-employé a irrémédiablement été brisée. »
Contexte du différend
Les deux employées, assistantes au département Litigation d’ENSafrica (Mauritius), avaient commencé à porter le hijab au travail en février et mars 2025, respectivement. Elles affirment que ce choix religieux a provoqué une série de remarques, d’avertissements et, finalement, leur suspension puis leur renvoi en juillet 2025.
Elles dénonçaient une interdiction du hijab imposée par certains cadres, notamment Thierry Koenig et Nashenta Zindel, sans fondement écrit ni base légale. Les deux femmes avaient alors saisi la Commission for Conciliation and Mediation (CCM), puis le ministère du Travail, alléguant discrimination religieuse et atteinte à leurs droits constitutionnels.
Leur plainte soulignait que le port du hijab n’avait jamais affecté leur travail ni leurs relations professionnelles et que, dans d’autres bureaux d’ENSafrica à travers l’Afrique, plusieurs employées le portaient librement.
Les arguments des parties
- Les plaignantes
Leurs avocats, Me I. Mamoojee et son équipe, ont soutenu que le licenciement était une mesure arbitraire et discriminatoire, violant :
la Constitution mauricienne (article 11 sur la liberté de conscience et de religion) ;
la Workers’ Rights Act et l’Equal Opportunities Act interdisant toute discrimination religieuse ;
plusieurs conventions internationales ratifiées par Maurice, dont la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
Ils ont fait valoir qu’aucune politique interne d’ENSafrica n’interdisait le port du hijab et que, même si une telle politique existait, elle serait illégale et contraire aux principes de liberté religieuse.
Ils ont plaidé pour la réintégration des employées, affirmant qu’elles restaient loyales, compétentes et sans animosité envers leur employeur.
- L’employeur
Représentée par Me Hervé Duval, Senior Counsel, la société ENSafrica a reconnu que les procédures de licenciement n’avaient pas respecté la loi, mais a fait valoir que la relation de confiance avec les employées était « irrémédiablement rompue ».
Le cabinet a soutenu que sa politique vestimentaire neutre et laïque visait à maintenir un environnement professionnel exempt de signes religieux ou culturels ostentatoires. Il a proposé de verser une indemnité de départ aux deux employées, estimant que la réintégration serait « inappropriée » et risquerait de nuire au climat de travail.
Les constats du Tribunal
Le vice-président Shameer Janhangeer et les membres Bhawantee Ramdoss, Kirsley Bagwan et Muhammad Nayid Simrick ont constaté :
qu’aucune preuve d’une politique écrite interdisant le hijab n’avait été produite ;
que le licenciement avait été effectué sans comité disciplinaire, en violation de la Workers’ Rights Act ;
que les employées avaient démontré leur bonne foi et leur attachement à leur travail.
Toutefois, le Tribunal a estimé que la demande de réintégration ne pouvait être accordée, car « la relation entre l’employeur et les travailleuses s’est irrémédiablement détériorée ».
Le panel a souligné que, même si les deux femmes disaient aimer leur travail, cela ne prouvait pas qu’il restait une relation de confiance avec l’employeur, d’autant plus qu’elles avaient déposé des plaintes pour discrimination contre plusieurs cadres de la société.
Décision finale
Le Tribunal a conclu que : « Le licenciement des disputantes est injustifié pour non-respect des dispositions de la section 64(2)(a)(ii) de la Workers’ Rights Act ; toutefois, la relation entre les parties étant irrémédiablement rompue, la réintégration ne peut être ordonnée. »
En conséquence, ENSafrica (Mauritius) devra verser à Nadrah Diouman-Ameer et Mushiirah Aubdoollah une indemnité de licenciement au taux prévu par la section 70(1) de la loi.
Une affaire à portée symbolique
Cette affaire, très suivie par les milieux syndicaux et les associations de défense des droits humains, soulève des questions majeures sur la liberté religieuse dans les lieux de travail privés. Elle pourrait servir de référence dans de futurs litiges portant sur la neutralité vestimentaire et les signes religieux dans le secteur privé à Maurice.
Le ministère du Travail a d’ailleurs indiqué qu’il étudiait des amendements législatifs afin d’encadrer plus clairement ces situations et de prévenir de nouvelles discriminations.