Ce dimanche ou lundi, Rezistans ek Alternativ (ReA) sera fixé sur ses négociations avec l’alliance PTr-MMM-ND. Trois investitures ont été convenues, mais le placement dans les circonscriptions reste à déterminer. Jusqu’ici, les discussions semblent sur la bonne voie, mais une pierre d’achoppement subsiste : l’inclusion des valeurs fondamentales de ReA dans le programme gouvernemental de la grande alliance de l’opposition. Ashok Subron a clairement exprimé que son parti ne transigera pas sur « le mauricianisme, l’écologie et la lutte ouvrière ». Et surtout pas sur le mauricianisme, qu’il qualifie de « Marche de l’histoire ».
Mais cette « Marche de l’histoire » sera-t-elle suivie par Navin Ramgoolam et Paul Bérenger ? Si ces derniers tentent d’esquiver ces principes, ReA pourrait bien choisir de se retirer et de présenter des candidats en solo, comme en 2014. À l’époque, leur meilleure performance électorale était celle d’Ashok Subron, avec un modeste 8,78% des voix au No 13, suivi de Kuggan Parapen, à 6,48 % dans la circonscription No 18.
Franchement ce sont trois grandes valeurs auxquelles doivent adhérer chaque Mauricien. Mais il y a un bémol par rapport à cette « Marche de l’histoire » de la ReA, comme annoncé jusqu’ici. On a l’impression que c’est un mauricianisme fragmenté, incomplet et conséquemment dangereux. D’où la question : Navin Ramgoolam et Paul Bérenger accepteront-ils ce « mauricianisme » tel que défendu par ReA ? Jusqu’ici, ce concept se traduit principalement par la « mauricianisation » du système électoral, c’est-à-dire l’abandon de la classification ethnique des candidats et, à terme, l’abolition du Best Loser System.
BLS : A blessing in disguise
Peut-être que non, car « le mauricianisme à la ReA » peut représenter un danger pour l’harmonie sociale à l’avenir dans l’éventualité d’une sous-représentation d’une communauté à l’Assemblée nationale.
Le Best Loser System a été conçu à l’origine pour garantir une représentation équilibrée de toutes les communautés dans une démocratie pluriethnique comme celle de Maurice. Bien qu’il soit perçu comme obsolète par certains, notamment ReA, pour d’autres, c’est un mécanisme essentiel pour protéger les minorités, en particulier les musulmans, contre une possible marginalisation. On ne peut pas l’enlever sans un autre garde-fou.
Imaginez-vous ce qui peut bien se passer dans le contexte actuel sans le Best Loser System. La communauté musulmane ne sera garantie que de six élus, dans les circonscriptions No 2 et 3. Soit 10% des élus. Alors que la population musulmane avoisinerait les 20%.
Avec la montée de l’extrémisme à travers le monde et de l’islamophobie, sans le Best Loser System, la communauté musulmane peut se retrouver qu’avec 3 députés musulmans sous un gouvernement sectaire qui regroupe les électeurs des circonscriptions 2 et 3 en une seule circonscription. Ce n’est pas d’oiseau de mauvais augure. Mais une situation qui peut bien se produire. Or, le Best Loser System assure cette sécurité. ReA, en ignorant cette dimension, semble sous-estimer la complexité de l’équilibre sociétal mauricien.
Mauricianisme : Un idéal à sens unique ?
Peut-être que oui, Paul Bérenger et Navin Ramgoolam seront tentés par la « Marche de l’histoire » de ReA qui est à sens unique. Elle n’est pas jalonnée également de la mauricianisation du poste de Premier ministre, du quota de ministère par communauté, et du recrutement et de la promotion dans la fonction publique.
Qu’Ashok Subron et ses amis soient honnêtes, la suppression de la classification ethnique ne suffit pas à « mauricianiser » le système électoral complètement. À quoi sert-il de supprimer la classification ethnique alors que les leaders politiques vont continuer à distribuer les investitures par circonscription sur la base du « communalisme scientifique » ? C’est une pratique encore largement ancrée dans les habitudes des partis traditionnels.
Si Ashok Subron et ses alliés tenaient réellement à leur « Marche de l’histoire », ils auraient dû exiger une refonte de la liste de candidats de l’alliance PTr-MMM-ND. Pourquoi ne pas, par exemple, présenter un candidat hindou, un membre de la population générale et un musulman dans des circonscriptions comme le No 5 ou le No 10 ? Ou encore, proposer que Navin Ramgoolam aille briguer les suffrages au No 19 et Paul Bérenger le remplace au No 5 ? Ce serait là une « mauricianisation évolutionnaire ». Et quelle révolution !
La « mauricianisation » doit aussi s’étendre à la répartition des ministères, souvent déterminée selon des quotas communautaires. ReA a-t-il proposé, au nom de sa « Marche de l’histoire », de mettre fin à cette « pratique archaïque » ? Et qu’en est-il du poste de Premier ministre ? Pourquoi ReA n’œuvre pas pour envoyer un signal très fort à la classe politique en exigeant un candidat non-vaish pour diriger le pays ?
Au nom de la « Marche de l’Histoire », pourquoi ReA n’exige pas que soit incluse dans le programme gouvernemental, la mauricianisation du recrutement et de la promotion dans la fonction publique, les corps paraétatiques et les compagnies étatiques ? ReA ignore-t-il l’existence des quotas invisibles et des pratiques non déclarées.
Une vraie « Marche de l’Histoire »
Le dilemme est profond : comment concilier une vision unitaire du mauricianisme avec la réalité d’un pays dont la cohésion repose sur un équilibre fragile entre ses différentes composantes ethniques ? Ce débat est crucial pour l’avenir de Maurice et exige des solutions qui respectent à la fois les idéaux d’égalité et la nécessité d’inclusivité.
La méritocratie et l’équité doivent être les maîtres-mots de toute réforme électorale, mais pas au prix d’un affaiblissement de la représentation des minorités. Soyons vigilants pour ne pas créer des fractures qui, dans le climat actuel, pourraient s’avérer irréparables.
Maurice a toujours su trouver un équilibre entre modernité et traditions, entre unité et diversité. C’est dans cette quête permanente d’unité dans la diversité qu’une vraie « Marche de l’Histoire » se jouera. Ne jouons pas avec le feu, et veillons à ce que chaque communauté, chaque citoyen, trouve sa place dans cette marche commune vers l’avenir.
Noor Ibn Hassenjee