Un plan de sauvetage est un mal nécessaire pour sauver l’économie. C’est l’avis de l’économiste Swadicq Nuthay. Toutefois, il avance qu’il est impératif de trouver les conditions appropriées qui seront attaché à un tel plan d’aide. Entretien.
Le discours budgétaire sera lu le 4 juin. Dans quelle conjoncture le ministre des Finances est-il appelé à faire son Grand oral ?
Le Budget sera présenté dans une conjoncture économique sans précédent. Cette crise économique mondiale découlant de la pandémie Covid-19 est une crise hors du commun, dont l’impact sur l’économie est comparable à un météore frappant notre planète. Cette récession n’a pas été déclenchée par la faiblesse des fondamentaux économiques ou l’instabilité du secteur financier mais par une crise sanitaire. À Maurice, bien que les données officielles n’aient pas été communiquées encore, je suis d’avis que nous sommes déjà rentrés de plain-pied dans une récession dont l’ampleur est précédente depuis 1968. En termes techniques, une récession représente deux trimestres consécutifs de croissance négative du PIB. On parle d’une contraction du PIB qui pourrait dépasser les 10% pour 2020 avec un taux de chômage proche des 18%. Maintenant, le défi est de savoir comment empêcher la crise sanitaire du coronavirus de se transformer en une crise économique et financière prolongée.
On parle de « stimulus package » depuis le début de la crise économique. Est-ce une nécessité que l’État vienne en aide au secteur privé ?
Cette crise économique, contrairement à celle de 2008, se conjugue à la fois d’une rupture de l’offre et d’une baisse extraordinaire de la demande. Un glissement de la demande et de l’offre entraînerait le pays vers un équilibre macro-économique plus bas. Un plan de sauvetage économique est plus que nécessaire pour éviter le pire. Voire empêcher la fermeture massive des entreprises et sauvegarder des milliers d’emplois. Cependant, il faudrait éviter à tout prix que le pays perde sa capacité à produire et qu’on soit capable de rebondir quand l’économie mondiale va repartir.
Il faut éviter un désastre économique qui entraînera une pauvreté généralisée»
Quels sont les défis à relever pour le ministre des Finances pour pouvoir présenter un Budget à pareille époque ?
Les décideurs sont désormais confrontés au dilemme de devoir trouver un plan d’action pour permettre aux activités économiques de redémarrer à nouveau pour éviter un désastre économique qui entraînera une pauvreté généralisée et des troubles sociaux. Il faut absolument empêcher la fermeture généralisée des entreprises et sauvegarder autant que possible les emplois. Aucun pays ne sera épargné par cette crise économique. Notre secteur manufacturier est en grande difficulté. Si les acheteurs n’ont pas annulé leurs commandes existantes, ils vont se faire néanmoins rares. Nous ne devons pas nous attendre à ce que les choses reviennent à la normale de sitôt, pas avant la fin de l’année.
Quid du tourisme ?
En ce qui concerne le secteur du tourisme, nous dépendons massivement de nos principaux marchés pour remonter la pente. Malheureusement, il n’y a pratiquement aucune visibilité de ce que le marché va ressembler à l’ère post-confinement et à l’ouverture des frontières. On est passé de 1,2 million touristes à près de zéro en quelques jours avec la fermeture des frontières. Le secteur du tourisme contribue directement et indirectement presque à hauteur de 25% de notre gâteau national, le PIB.
Quels sont les autres secteurs qui subiront les effets de la Covid-19 ?
Les secteurs du BPO et des services financiers seront également touchés par la crise. Le secteur immobilier, qui représente près de 50% de nos investissements étrangers directs (FDI), ne sera pas non plus épargné. En effet, cette crise sanitaire du coronavirus pourrait se transformer en une crise économique très prolongée si nous ne coordonnons pas nos actions. Nous devons avoir à portée de main le juste milieu avec un plan de sauvetage pour relancer l’économie au plus vite.
Quelles sont les attentes de la population avant ce Budget, selon vous ?
C’est un fait indéniable que la Covid-19 a causé des dégâts majeurs à notre économie. Face à cette conjoncture, la population s’attend à un vrai soutien du gouvernement notamment à des mesures fortes pour sauvegarder au maximum les emplois et les entreprises et ainsi éviter une crise sociale. Et pour ceux qui vont malheureusement perdre leur emploi, je pense qu’il faudrait venir avec une allocation chômage à l’intention de ces personnes pour une période déterminée.
Et pensez-vous que le Budget pourra répondre aux attentes des Mauriciens ?
Il faut se rendre à l’évidence que les finances publiques ne disposent pas de moyens illimités pour financer des plans de sauvetage et venir en aide aux individuelles touchées par la crise. Il nous faut solliciter de l’aide financière de nos principaux bailleurs de fonds incluant le FMI, BAD, les pays amis. La dette publique va certainement grimper davantage. Il ne faut pas occulter le fait qu’une décroissance économique emmène dans son sillage une réduction dans des recettes provenant de la taxe. Il existe une corrélation linaire directe entre les recettes fiscales et la croissance économique. Une contraction de 10% équivaut à une baisse d’environ 10% de la taxe collectée.
Il faudrait éviter à tout prix que le pays perde sa capacité à produire…»
Un sacré dilemme…
En effet, d’un côté les finances publiques disposeront moins de revenus alors que les dépenses vont flamber… Mais le gouvernement n’a pas trop le choix que de laisser filer la dette publique dans une telle conjoncture. Il faudrait opter pour «the lesser of the two evils». Cette crise économique sera très rude, il faudrait considérer plusieurs options à la fois.
À quoi faut-il s’attendre ?
Cependant, il ne faut pas s’attendre à des miracles non plus. C’est de la fiction de croire que le gouvernement peut créer de la monnaie gratuitement et venir en aide aux entreprises et les personnes touchées par la crise sans aucun coût. Rien n’est gratuit dans la vie… « There is no such thing as a free lunch », disait le célèbre économiste Milton Friedman. L’économie, c’est un « zero sum game ». Pour chaque roupie dépensée quelqu’un d’autre doit passer à la caisse. Le gouvernement aura besoin des moyens pour financer ce plan d’aide. Un plan de sauvetage est un mal nécessaire pour sauver l’économie. Mais, il est impératif de trouver les conditions appropriées qui seront attaché à ce plan d’aide.
De ce fait, le Budget 2020-2021 devra-t-il être essentiellement économique ou plutôt social ?
Une crise économique engendra sans doute une crise sociale. Il est donc essentiel de privilégier une relance économique inclusive pour éviter les pertes d’emplois, la fermeture des entreprises et une baisse généralisée dans le niveau de vie de la population. Ainsi, un plan de sauvetage avec des conditions strictes pour éviter le gaspillage des fonds publics et sauvegarder au maximum la capacité de production de l’économie aidera à minimiser l’impact d’une crise socio-économique.
L’après-Covid-19 s’annonce particulièrement difficile pour le pays et aussi pour toutes les grandes nations du monde. À quand peut-on entrevoir la lumière au bout du tunnel ?
Nous ne devons pas nous attendre à ce que les choses retournent à la normale de sitôt, pas avant la fin de l’année. Les touristes se feront rares, avec les priorités des gens qui changeront pendant un certain temps, les commandes pour le secteur manufacturier sont déjà en baisse, les secteurs du BPO et des services financiers seront également touchés par la crise. Avec l’économie mondiale en récession, le secteur immobilier, qui représente près de 50% de nos investissements étrangers directs (FDI), ne redécollera pas de sitôt.
L’économie mondiale est également presque à l’arrêt. Quels sont les impacts sur le petit État-providence qu’est Maurice ?
Étant une économie ouverte axée sur l’exportation de biens et de services, Maurice n’échappe pas à la règle. L’impact économique et financier de cette crise sera très grave. Le pays va connaître une récession économique qui pourrait dépasser les 10% pour 2020. C’est l’effet conjugué du lockdown pendant 2 mois, la fermeture de nos frontières, l’arrêt des arrivées touristiques jusqu’à probablement fin de 2020, une baisse conséquente dans les exportations manufacturières, une baisse dans les investissements directs étrangers et une baisse dans les activités commerciales.
Y-a-t-il moyen de renverser la vapeur ?
Pour financer l’État-providence avec la baisse de revenus, on aura un choix à faire : garder l’État-providentiel tel quel ou bouger vers le ciblage. Il y a une anomalie entre l’âge de la retraite à 65 ans et l’âge de la pension de vieillesse universelle à 60 ans. Il est inconcevable que quelqu’un à plus de 60 ans qui travaille encore bénéficie également d’une pension de vieillesse. Le coût de la pension représente à lui seul presque un-tiers du budget annuel, ce qui est insoutenable dans le temps, compte tenu du vieillissement de notre population. Aussi, il y aurait une plus grande demande d’autres allocations sociales telles que l’allocation de chômage. Le gouvernement prévoit un nombre de 100 000 chômeurs pour 2020 (une hausse de 60 000). Il faut donc venir avec certains critères pour redéfinir l’État-providence et avoir un système de ciblage entre les différentes catégories de personnes.
Il n’y a pratiquement aucune visibilité de ce que le marché va ressembler à l’ouverture des frontières»
Concernant les 100 000 chômeurs annoncés et qui sont liés aux conséquences de la pandémie de Covid-19. Est-ce inévitable ?
La pandémie de la Covid-19 a eu pour résultat une baisse extraordinaire dans la demande de nos produits à l’exportation (biens et de services) découlant d’un ralentissement général de l’économie mondiale. La baisse dans la demande va malheureusement pousser beaucoup d’entreprises à réduire leur production ou pire dans certains cas à mettre la clé sous le paillasson. Cela aura un effet boule de neige sur l’ensemble de l’économie. La perte d’emplois est donc inévitable. À Maurice, on estime une hausse de 60 000 dans le nombre de chômeurs ce qui ramène le nombre de sans-emploi à 100 000 et un taux de chômage à 17,5% en 2020. C’est pour cela qu’un plan de sauvetage est une nécessité.
Pensez-vous que c’est le moment idéal pour mettre le paquet dans la création d’un écosystème pour les PME et autres micro-entreprises ?
Les PME sont les plus vulnérables, il faut sauvegarder le maximum de PME mais ce n’est certainement pas le moment de faire de grandes annonces. Il faut plutôt stopper l’hémorragie à travers des plans de sauvetages. Cela ne veut pas dire non plus le gouvernement doit venir à la rescousse des entreprises qui étaient déjà dans le rouge avant la Covid-19, voire des entreprises insolvables. Il ne faut surtout pas « throw good money after bad money ». Si une entreprise n’a aucune chance de survivre même avec le support financier additionnel, il est évident que ce ne sera pas dans la logique des choses de sauver une telle entreprise. C’est pour cela qu’il faudrait qu’il y ait les conditions appropriées incluant des « due diligence » qui seront attachées à ces plans d’aide.
On parle de plus en plus de l’autosuffisance alimentaire. C’est faisable, selon vous ?
Plus que jamais cette crise nous a amené à réaliser l’importance d’un plan pour encourager les agro-entrepreneurs. Il faut aider le secteur agricole à s’adapter aux nouvelles tendances et technologies, ainsi à mieux utiliser les ressources en facilitant l’accès aux équipements agricoles dans toute la chaîne de valeur agroalimentaire et en favorisant la création de valeur ajoutée aux produits locaux à travers la différenciation des produits et la commercialisation de ces produits pour améliorer la viabilité des exploitations agricoles.
Comment encourager les jeunes à devenir des agro-entrepreneurs ?
Vous savez, il existe un vrai potentiel dans le secteur des PME tourné vers l’agro-alimentaire. Malgré la détermination de beaucoup d’entrepreneurs, il est vrai que le fait demeure qu’ils font face à des « road-blocks » à plusieurs niveaux. Pour favoriser la croissance des agro-entrepreneurs, il faut améliorer l’accès aux financements, s’ouvrir à l’international notamment à travers des partenariats technologiques, développer l’offre de formation et un accompagnement individuel des PME. Ces mesures vont contribuer à l’épanouissement des agro-entrepreneurs et encourager les jeunes à se lancer dans l’agriculture.
Le mot de la fin …
Malheureusement, bon nombre de nos concitoyens, incluant des entrepreneurs, ne se sont pas rendu compte de la gravité de cette crise et de la récession économique sans précédent et de son impact sur notre société. Pour beaucoup, leur principale préoccupation est de savoir comment tirer parti de la situation et chercher des fonds de sauvetage auprès du gouvernement. Alors que de nombreuses personnes perdront leur emploi, la reprise économique se fera dans la douleur.