Friday , 29 March 2024
Swadicq Nuthay

Swadicq Nuthay, économiste : «Il est essentiel que l’État commence à contrôler les dépenses courantes»

Contrôler les dépenses courantes et réduire les gaspillages et autres dépenses inutiles seraient un moyen efficace pour rétablir un certain équilibre au sein du climat économique qui prévaut actuellement à Maurice. L’économiste Swadicq Nuthay répond à nos questions…

Pour compenser les pertes encourues depuis février, la State Trading Corporation (STC) a décidé de majorer le prix des carburants. Est-ce une raison valable d’autant que cela ne reflète pas le prix sur le marché international ?
Entre février et août de cette année, le cours du pétrole a connu une baisse de 5% sur le marché international et le taux de change de la roupie par rapport au dollar a aussi chuté de 6%. Cela rend plus d’un perplexe. Mais une analyse en profondeur de la structure du «  pricing mechanism » nous démontre quoi ? Presque 60% du prix des carburants à la pompe est composé d’impôts et de différentes taxes sous formes de contributions aux différents fonds comme celle faite à la Road Development Authority (RDA) ou celle au fonds pour subventionner le riz et la farine, entre autres.

La marge de profit pour les compagnies pétrolières et les détaillants est de 8% à 10%. Vous rendez vous compte que le prix CIF du Mogas est à Rs 14.77 le litre et le prix à la pompe est de Rs 44.90 ! Un simple calcul mathématique nous démontre que le ratio est de ‘un tiers/deux tiers’ (1/3 – 2/3). Ainsi, si le prix du pétrole est à Re 1 à l’importation, le prix aux consommateurs reviendrait presque à Rs 3. Donc, même si le prix du pétrole a baissé drastiquement depuis son « peak » de 2008 de $145 le baril et qu’il est à moins de $50 le baril actuellement, le prix à la pompe n’a pas connu de grande baisse car la taxe a augmenté drastiquement. De plus sur chaque litre d’essence, il y a des montants fixes qui sont prélevés.

Pour ne pas pénaliser la population, est-ce que le gouvernement n’aurait pas dû revoir le Petroleum Pricing Mechanism (PPM) en diminuant ou enlevant certaines taxes imposées sur le carburant ?
Le Petroleum Pricing Mechanism ne va rien changer. Même si on apporte des changements dans la méthodologie, cela ne va pas influencer le prix du pétrole. Ces dernières années, l’impôt incluant les taxes sous formes de contributions à différents fonds sur les produits pétroliers a connu une hausse drastique chez nous. C’est devenu une véritable vache à lait. N’empêche que cela est une importante source de revenus pour le gouvernement. Je vous cite cet adage «there is no such thing as a free lunch» ! Comment croyez-vous que l‘État providence et le service public sont financés ? Les dépenses courantes de l’État ont augmenté de Rs 80,7 milliards en 2014 pour passer à Rs 102 milliards en 2016. Ce qui équivaut à une hausse de 27% dans les dépenses courants alors que les revenus courants n’ont augmenté que de 16%. Où, d’après vous, l’État va-t-il trouver les fonds pour financer toutes ses dépenses qui n’arrêtent pas de grossir ?

« Presque 60% du prix des carburants à la pompe est composé d’impôts et des différentes taxes sous forme de contributions… »

Est-ce que le gouvernement dispose d’autres sources de revenus à exploiter pour compenser ce manque à gagner ?
Comme je vous ai dit à l’instant, rien n’est gratuit dans la vie. ‘There is no such thing as a free lunch’, dit-on en économie. Car tous les services prodigués par le gouvernement comme le transport gratuit, les services médicaux, la pension, entre autres, quelque part, quelqu’un doit passer à la caisse sinon le pays s’engouffrera dans une spirale de la dette. Donc, si le gouvernement décide de réduire le quantum des impôts sur les carburants, il va automatiquement devoir trouver d’autres sources de revenus à travers l’imposition de la taxe sur d’autres produits. Mais il est essentiel que l’État commence à contrôler les dépenses courantes. Chaque année, dans le rapport de l’audit, nous constatons qu’il y a beaucoup de gaspillages à travers des dépenses inutiles dans les services publics. De plus, le ciblage de l’État providence n’est pas une option mais une réalité que nous devons tous accepter.

Faut-il revoir la politique fiscale en privilégiant plus les taxes directes qu’indirectes ?
Le gouvernement peut augmenter les impôts indirects comme la TVA et aussi le taux des impôts directs mais les deux comportent des risques. Cela pourrait être néfaste pour l’économie et ainsi entraîner une baisse dans la productivité et aussi décourager l’investissement. Une hausse dans le taux d’impôts directs n’est pas synonyme d’une augmentation de revenus. Cela peut avoir l’effet inverse comme l’a démontré le célèbre économiste, Arthur Laffer, qui a illustré la relation entre le taux de l’impôt et le montant de la taxe collecté par le gouvernement. J’insisterai sur le fait que nous devons diminuer nos dépenses et il est temps que le gouvernement vienne de l’avant avec le ciblage pour éviter des dépenses inutiles et réduire les gaspillages.

Outre le prix des carburants, celui de plusieurs autres commodités a accusé une hausse. Quel en serait l’impact immédiat ?
L’impact immédiat est que le pouvoir d’achat des Mauriciens va baisser. Et c’est un fait que la cherté de la vie va beaucoup plus se faire ressentir chez les gens se trouvant au bas de l’échelle sociale.

Les opérateurs dans le domaine du transport (bus scolaire, autobus, taxis…) réclament aussi une augmentation de leur prix. Cette demande est-elle justifiée ?
Je pense que c’est de la bonne guerre. Chacun veut avoir sa part du gâteau. À chaque fois que le prix des carburants augmente, les opérateurs du transport réclament une hausse de leur prix et c’est la même chose pour les autres services. Bientôt nous allons voir que les syndicalistes vont également réclamer une augmentation des salaire car le pouvoir d’achat a baissé. C’est un cercle vicieux.

« Le gouvernement peut augmenter les impôts indirects comme la TVA et aussi le taux des impôts directs mais les deux comportent des risques. »

Doit-on s’attendre à une hausse du taux d’inflation ?
Il est bon de faire ressortir qu’heureusement les prix des autres commodités en général n’ont pas augmenté. Le taux d’inflation est donc raisonnable (NdlR : taux à 2,4%).

Sinon, les dernières indications de la Consumer Advocacy Platform (CAP) démontrent que le panier de la ménagère coûte de plus en plus cher et le fossé entre les riches et les pauvres continue de s’agrandir. Quelle est la solution ?
C’est un fait que l’inflation a un impact plus important sur les personnes au bas de l’échelle sociale. Le gouvernement, à travers les différentes allocations, aide à soulager ces personnes. Mais on dit également que ‘quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que lui donner un poisson à manger’. Ainsi, pour réduire le fossé grandissant entre les riches et les pauvres, il faut avant tout qu’il y ait une réelle volonté et une détermination de ceux qui sont les plus vulnérables, à faire l’effort pour améliorer leur position dans la société. Cela est possible si ces personnes peuvent avoir un emploi décent et aussi la formation adéquate. Le gouvernement est aussi venu de l’avant avec le ‘Negative income tax’ et c’est une bonne chose.

Selon vous, faut-il impérativement que le gouvernement vienne de l’avant avec le salaire minimal ?
Les salaires agissent comme un excellent baromètre dans l’explication de l’inégalité des revenus car le médian des revenus mensuels à travers les « quintiles » se sont accrus. C’est-à-dire que l’écart entre les salaires au plus bas de l’échelle et au plus haut s’est creusé. De 2007 à 2012, les revenus mensuels médian dans le « quintile »  le plus pauvre a augmenté par 11,6 % alors que le médian des revenus mensuels dans le « quintile », le plus riche a grimpé par 15,3 % pour la même période. Mais il est important de faire ressortir que le salaire est principalement déterminé par l’offre, la demande, la productivité et la valeur ajoutée du salarié. Mais n’empêche que la question subsiste quant au fait que les entreprises se tournent vers les travailleurs étrangers, surtout dans le secteur manufacturier et la construction. Il y a un manque d’enthousiasme et de motivation chez l’ouvrier mauricien. Si tous les ingrédients sont réunis, à savoir le salaire minimal ainsi que les mesures d’accompagnement, il peut certes y avoir une amélioration dans notre ‘gini coefficient’ qui était lors de la dernière évaluation en 2012 à 0,41 contre 0,388 en 2005.

Vu le climat économique à Maurice, le pays a encore du chemin à faire pour devenir un ‘High Income Country’. Partagez-vous cet avis ?
Pour que Maurice puisse accéder à un statut de ‘High Income’, il faut une croissance économique bien plus importante que le 4% projeté et aussi un taux d’investissement qui tourne aux alentours des 25% du Produit intérieur brut (PIB). Mais cela dit, il faut que le pays se donne les moyens pour pouvoir franchir ce palier car ce n’est pas aussi facile de dépasser le 4% de croissance.

Regardons en face, nous avons des défis nouveaux et très graves qui nous guettent tels que le Brexit, le BEPS, entre autres.

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