Le Dr Yaasir Ozeer en est à son premier mandat en tant que président de la Société islamique de Maurice (SIM). Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il parle des défis auxquels fait face la société mauricienne et estime que les jeunes ne sont plus intéressés à faire du travail social.
En tant que jeune président de la SIM, quel regard posez-vous sur la société mauricienne ?
Malheureusement, notre société fait face à plusieurs problèmes en ce moment. Outre le matérialisme, nous devons aussi faire face à la délinquance, la violence, la drogue, l’alcool et le jeu de hasard qui prend de plus en plus d’ampleur à Maurice. Avec le matérialisme, tout le monde vit dans son petit cercle. N’empêche que tout n’est pas noir dans notre société. Car sur les plans culturel, intellectuel, intercommunautaire et religieux, nous constatons qu’il y a une certaine stabilité. Contrairement à d’autres pays, on peut dire que nous vivons en paix.
Le nombre de cas de vol, viol, meurtre et autres délits ne cesse d’augmenter. Comment expliquer cette dégradation sociale ?
Je pense que le chômage et le fléau de la drogue sont responsables de plusieurs maux de la société. Quand une personne est accoutumée à la drogue, elle connaît une véritable descente aux enfers. Elle n’hésiterait pas à voler sa propre famille ou à commettre des actes insensés afin de se procurer de l’argent pour acheter sa drogue. Dans un registre plus particulier, je peux dire que de nos jours, les gens se sont éloignés de la religion. Cela ne concerne pas uniquement l’islam mais toutes les confessions religieuses. Car si une personne est réellement attachée à sa croyance, elle réfléchirait à deux fois avant de commettre quoi que ce soit. Le manque d’humanisme et l’absence du sens de devoir envers les autres ont aussi contribué à cette dégradation.
Pensez-vous que les autorités ont failli à leur tâche ?
Non. Je ne le pense pas. Il est vrai que l’autorité a sa part de responsabilité en faisant respecter les lois, entre autres mais il incombe à chaque citoyen de vivre et de se comporter de façon responsable. Les organisations et autres associations sociales font aussi partie de l’équation tout comme les hommes religieux. Ces derniers ont le devoir d’enseigner et de prêcher ce qui est bien car ils ont un nombre important de dévots. Ils doivent constamment véhiculer le message de paix et de non-violence. Au niveau de la SIM, nous avons déjà commencé une compagne où les membres vont à la rencontre des gens dans différents endroits du pays pour parler des méfaits de la drogue, de l’alcool et du jeu de hasard. Ces facteurs sont en train de ruiner plusieurs familles mauriciennes.
Le manque d’humanisme et l’absence du sens de devoir envers les autres ont aussi contribué à la dégradation sociale.»
Il y a aussi un rajeunissement de la délinquance ces dernières années. Est-il temps pour les écoles de mettre l’emphase sur les valeurs morales en parallèle avec l’enseignement académique ?
J’estime qu’il est important de le faire. Auparavant, il existait des matières semblables dans le cursus scolaire mais on n’y accordait que peu d’importance. Chaque école doit accorder une ou deux périodes à l’enseignement des matières relatives aux valeurs morales. Il est essentiel d’avoir la participation des élèves lors de la tenue de ce genre de classes. Des ateliers de travail peuvent être également organisés dans les établissements scolaires. Aujourd’hui, nous avons vu comment la drogue synthétique est déjà rentrée dans les écoles. Donc, il est primordial d’accorder toute l’importance aux valeurs morales. Et en dehors du cadre scolaire, on peut mettre sur pied des séminaires résidentiels pour les étudiants durant les vacances d’été afin de mieux les encadrer à travers différentes activités.
Sinon, quel est votre constat de la pauvreté à Maurice ?
La pauvreté demeure un gros problème chez nous. Le gouvernement continue d’œuvrer afin de venir en aide aux gens qui sont au bas de l’échelle sociale à travers des projets de logement entre autres. Les ONG en font de même. Mais chacun doit se sentir concerné par ce fléau. À titre individuel, chacun peut contribuer à soulager la souffrance d’une personne qui vit dans la pauvreté. C’est avant tout notre devoir en tant que croyant.
Une meilleure distribution de la zakaat aurait-elle aidé à diminuer le problème de la pauvreté au sein de la communauté musulmane ?
Je peux dire qu’au niveau de la SIM, nous utilisons la zakaat pour venir en aide à des personnes dans plusieurs domaines allant de l’achat des denrées alimentaires au financement des études des jeunes. On vient aussi en aide à ceux qui ont besoin des soins médicaux et l’argent de la zakaat nous aide également à encadrer les entrepreneurs dans leur commerce. Je pense qu’il est temps que toutes les associations travaillent en collaboration afin qu’on puisse utiliser l’argent de la zakaat de façon plus efficace.
Vous voulez dire mettre sur pied un fonds national de la zakaat ?
Non, pas nécessairement. C’est d’un « networking » que nous avons besoin. Chaque association peut faire le travail à son niveau et collecter l’argent de la zakaat individuellement. Ensuite, on établit un réseau pour assurer une meilleure distribution. À Rose-Hill et aussi à Curepipe, je sais que des associations font du « networking » lorsqu’il s’agit de venir en aide aux nécessiteux. Avant de songer à créer un fonds national de la zakaat, il aurait été souhaitable de le faire au préalable au niveau des régions à travers le pays.
La SIM vient de tenir un atelier de travail avec pour thème la technologie au sein de la famille. Y-a-t-il un mauvais usage de la technologie chez nous ?
Certes, il y a un mauvais usage et les enfants sont malheureusement exposés à la technologie dès leur plus jeune âge. À travers l’internet, ils ont accès à divers contenus sur la Toile et cela peut les pousser à commettre toute sorte de chose de façon précoce. Il y a aussi des cas de dépendance et cela concerne aussi les réseaux sociaux qui sont aujourd’hui bien ancrés dans nos mœurs. Nous avons aussi constaté que les parents deviennent de plus en plus accros à leur smartphone ou ordinateur. Ce qui provoque un manque de dialogue et de communication entre les membres au sein d’une famille car chacun est scotché devant son écran. Lors de l’atelier, les intervenants ont donné des conseils pour réduire le temps passé devant notre écran afin de consacrer plus de temps à notre famille.
Pensez-vous que les réseaux sociaux nuisent à notre vie de famille?
Pas tout à fait. Il ne faut pas oublier que les réseaux sociaux nous permettent aussi de rester en contact avec nos proches qui sont à l’étranger. Ils sont leurs avantages mais de nos jours, les jeunes les utilisent à mauvais escient. Certains jeunes sont devenus presque « anti-sociaux » en délaissant leur environnement immédiat à cause d’une forte dépendance des réseaux sociaux. Mais les parents doivent également pouvoir exercer un certain contrôle sur leurs enfants par rapport à l’utilisation de ces plateformes.
La drogue touche de plus en plus de jeunes. Est-ce que c’est impossible d’éradiquer la drogue à Maurice ?
Non. C’est faisable. Je pense que nous avons le devoir de l’éradiquer car trop de familles sont en train de souffrir à cause de ce fléau. L’éradication de la drogue passe avant tout par la prévention. À commencer par les écoles primaires et les établissements secondaires. Il faut mieux armer nos jeunes pour faire face à ce fléau. Le gouvernement, les ONG et les forces vives travaillent au mieux de leur capacité mais la prévention doit aussi se faire au niveau de la famille. Les parents doivent savoir les fréquentations de leurs enfants et les avoir constamment à l’œil.
Comme nouveau président de la SIM, quels sont les projets qui vous tiennent à cœur ?
Il y a déjà un gros travail qui a été abattu avant mon arrivée mais nous devons faire face à plusieurs défis surtout avec le désintéressement des jeunes à faire du travail social. Il faut ainsi pouvoir les encourager à s’y impliquer davantage car le travail social doit être un pilier dans notre vie. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce désintéressement : un manque de temps, un manque de formation dans le domaine du travail social et aussi la ruée vers le matérialisme. Chacun n’est concerné que par ses propres intérêts. Donc, un des défis à relever sera d’assurer la relève. Aussi, je compte miser les plateformes modernes pour toucher un plus grand nombre de personnes. Il faut revoir la conceptualisation du site web de la SIM et l’utilisation des réseaux sociaux. L’encadrement des enfants demeure aussi une de mes priorités. On a déjà commencé un programme – le SIM Kids Club – qui concerne une cinquantaine d’enfants de 6 à 10 ans.