Ahmet Kemal Öncü, fondateur de la « Mauritius and Turkey Friendship and Solidarity Association » (MTFSA) est en visite à Maurice. Dans l’interview qui suit, il nous parle de la genèse de son film-documentaire intitulé « Beyond The Ocean », retrace les relations qui existent entre Maurice et la Turquie et ce depuis 1870 et de l’expertise de son pays dans le domaine de l’économie océanique, entre autres.
Pourquoi avez-vous décidé de réaliser un film-documentaire sur les relations entre Maurice et la Turquie ?
Quand mon épouse Gulbahar et moi avions visité l’île Maurice pour la première fois, nous ne nous attendions pas à développer une si forte admiration et un amour profond pour votre pays. J’ai décidé de réaliser ce documentaire car nous sommes redevables envers le peuple mauricien qui avait fait preuve d’une grande solidarité envers les Turcs durant la Guerre de Crimée (1877-78) et aussi durant la Première Guerre Mondiale. Vos ancêtres avaient collecté une grosse somme d’argent au début des années 1900 et l’avait envoyé à la Croix Rouge à Istanbul pour aider les victimes de la guerre.
«Au temps de nos ancêtres, il existait des liens très forts entre nos deux pays.»
D’où détenez-vous ces informations ?
Les archives nationales en Turquie comprennent plusieurs documents qui démontrent des échanges datant de 1859 entre les dirigeants de l’empire ottoman et ceux de la communauté musulmane à Maurice. Il y a d’autres documents qui montrent en détail les sommes d’argent que les Mauriciens avaient contribué pour aider les Ottomans. Qu’importe la somme contribuée, c’est l’élan de solidarité et la sincérité de vos ancêtres qui comptent le plus pour nous. Ceux qui n’avaient pas les moyens financiers ont pensé à nous à travers leurs prières. Qu’Allah préserve leur âme en paix. Nous ne pourrions jamais vous retourner cette faveur mais nous avons la possibilité d’immortaliser ces souvenirs à travers la publication des livres ou la réalisation des documentaires.
Comment s’est déroulée la production de ce documentaire ?
Avant la conceptualisation du film, mon épouse et moi avions visité l’île Maurice à plusieurs reprises au cours de ces dix dernières années. Nous avons relevé les noms des familles mauriciennes qui apparaissent dans les archives en Turquie. À Maurice, nous avons essayé de contacter et rencontrer les descendants de ces personnes pour avoir plus d’informations. Cela n’a pas été une tâche facile. Certaines familles n’ont jamais pu être retracées car elles avaient émigré à l’étranger ou nous avions perdu le fil de nos recherches. Mais, nous sommes tout de même parvenus à rencontrer une douzaine de familles et chacune d’elles nous a aidés à produire ce documentaire dont le but est de rendre un vibrant hommage au peuple mauricien.
«La Turquie offre un large choix d’études au niveau tertiaire pour les étudiants mauriciens.»
Qu’avez-vous découvert d’autre lors de la réalisation du documentaire ?
Mon épouse et moi avons pu mettre la main sur des documents qui ont complémenté les parties manquantes de l’histoire qui relie Maurice à la Turquie. Par exemple, nous avons pu découvrir que l’imam Nazeerudin Gassy Sobdar était le représentant religieux de l’empire ottoman à Maurice. Sa nomination comme chef religieux avait été approuvée par l’Empereur ottoman le 29 août 1865. Nous avons aussi pu retracer une pétition datant du 9 juin 1879 dans laquelle l’imam de la mosquée du Camp des Lascars, Nazeerudin Gassy Sobdar, avait fait valoir au sultan Abdul Hamid II l’importance des habits traditionnels pour refléter son statut lorsqu’il participait à des réunions à l’hôtel du gouvernement. Par la suite, les Ottomans lui avait fait parvenir des habits islamiques.
Les relations entre Maurice et la Turquie existent donc depuis le 19e siècle…
Oui, c’est exact. Les relations diplomatiques entre nos deux pays remontent à 1870. Le premier consul des Ottomans à Maurice était M. Roussin, un Français. Il fut succédé par un autre Français, à savoir, le baron Kaplan. Par la suite, le sultan Abdul Hamid avait désigné Daoudjee Vayid, le grand-père de Mohamad Vayid, comme le consul ottoman à Maurice. Les deux pays entretenaient de très bonnes relations. L’empire ottoman avait fait plusieurs donations à Maurice pour venir en aide à la population après le passage des cyclones. Par exemple, l’empereur avait envoyé la somme de Rs 100,000 en une occasion.
«Les opportunités d’échanges sur le plan culturel sont immenses.»
Que dire des liens entre Maurice et la Turquie à présent ?
Au temps de nos ancêtres, il existait des liens très forts entre nos deux pays. Cela dit, il faut admettre que nos liens ont connu une longue période d’interruption de 1924 jusqu’à 2010 lorsque la Turquie a ouvert une ambassade à Madagascar avec juridiction sur l’île Maurice. Cela a permis de renouer des liens avec la signature d’un accord de libre-échange entre Maurice et la Turquie. C’est suite à ce même accord que la compagnie d’aviation turque, Turkish Airlines, a pu desservir l’île Maurice.
Comment peut-on consolider nos liens ?
J’ai tout le temps estimé que les contacts interpersonnels sont très efficaces pour la consolidation des liens entre deux pays. Maintenant que Maurice et la Turquie sont connectés par Turkish Airlines, cela va offrir plus d’opportunités aux Mauriciens et aux Turcs d’interagir et mieux se connaître.
Pensez-vous qu’il existe des possibilités d’échanges culturels entre nos deux pays ?
Je dois dire que les opportunités d’échanges sur le plan culturel sont immenses. Maurice et la Turquie possèdent une riche diversité culturelle et je pense qu’il est temps que nous commencions à partager nos connaissances. La Turquie offre plusieurs opportunités dans le domaine de la cinématographie, des programmes de télévision, de gestion du patrimoine, de l’art et de l’architecture, entre autres.
Dans quels autres domaines peut-on s’aider mutuellement ?
La Turquie offre un large choix d’études au niveau tertiaire pour les étudiants mauriciens. Aussi, comme l’économie océanique est une nouvelle priorité pour l’île Maurice, je suis d’avis que la Turquie a beaucoup à offrir à votre pays en termes d’expertise dans ce domaine.
«Les contacts interpersonnels sont très efficaces pour la consolidation des liens entre deux pays.»
Quel est votre regard sur la communauté musulmane à Maurice ?
La communauté musulmane à Maurice est très dynamique. Elle peut accomplir beaucoup de choses si elle reste unie. La communauté doit aussi se concentrer sur la préparation des générations à venir.
Sinon, quelle est la situation en Turquie ?
La Turquie est en train d’influer sur le cours de son histoire. Nous avons la ferme conviction de neutraliser ceux qui représentent un danger pour le pays. Les Turcs travaillent dur afin que le pays devienne économiquement, technologiquement et militairement fort.
Le président Erdoğan peut-il devenir le leader du monde musulman ?
Tout ce que je demande, c’est qu’Allah lui accorde une longue vie. Seule l’histoire pourra dire si ce qu’il a fait pour son peuple et pour le monde musulman, a eu un impact positif.