L’incendie qui a ravagé l’entrepôt de Shoprite, à Trianon, cette semaine, et qui a causé la mort d’un employé, vient remettre sur le tapis le respect des normes de sécurité et de santé sur le lieu de travail et plus particulièrement dans les grandes surfaces et autres supermarchés du pays.
Durant la période des vacances et à l’approche des fêtes de fin d’année, les complexes commerciaux accueillent un nombre important de clients et les heures d’ouverture sont souvent étendues. Pour répondre favorablement à la demande de la clientèle, les hypermarchés et supermarchés du pays doivent s’approvisionner et dans bien des cas durant cette période, les entrepôts se transforment en un fourre-tout. Trop souvent, hélas, les règles les plus élémentaires en matière de santé et de sécurité au travail, qui ne sont pas différentes pour les enseignes de distribution, sont ignorées et bafouées. « Toutes les normes sont régies sous l’Occupational Safety and Health Act de 2005 et elles concernent chaque lieu de travail, qu’il soit un magasin ou un bureau», explique Yoosoof Jauhangeer, consultant en matière de sécurité et de santé, et qui compte plus de 20 ans d’expérience dans le domaine.
Néanmoins, il indique que cette loi fait provision de la responsabilité de l’employeur pour qu’il prenne les mesures qui s’imposent afin de faire du lieu de travail un endroit sûr et sans danger. « C’est l’article 5 de l’Occupational Safety and Health Act qui prévoit cela alors que l’article 6 prévoit les évaluations des risques par l’employeur sur le lieu de travail », souligne-t-il. Et si un établissement compte plus de 20 employés au rez-de-chaussée et 10 en hauteur, il doit impérativement se munir d’un « Fire Certificate » auprès de la Mauritius Fire & Rescue Service (MFRS). L’employeur doit, par ailleurs, faire une deuxième demande s’il compte stocker du gaz et du carburant au sein du bâtiment. Mais selon notre interlocuteur, l’Occupational Safety and Health Act, qui date de 2005, ne tient pas en compte plusieurs développements dans le domaine. « Il existe aussi des directives générales mais elles n’ont pas force de loi. Par exemple, la loi ne fait pas mention des sprinklers qui dans le cas de Shoprite auraient pu aider à maîtriser l’incendie très tôt », fait ressortir Yoosoof Jauhangeer.
Pour Dev Ramano, avocat spécialisé en lois du travail, il n’existe pas une culture de « Health and Safety » à Maurice. Selon lui, l’employeur, aussi bien que l’employé, doit s’assurer que les normes de sécurité et de santé sont respectées au travail. « C’est la responsabilité de l’employeur de veiller à rendre le lieu de travail plus sûr mais il incombe aussi à l’employé de faire montre d’un comportement discipliné afin de ne pas enfreindre les normes de sécurité », explique Me Ramano.
Plus de stocks en fin d’année
Afin de répondre à la demande des clients durant la période de fêtes de fin d’année, les stocks s’amoncellent dans les entrepôts des hypermarchés et autres supermarchés du pays . Jouets, boissons alcoolisés, charbon, pétards et feux d’artifices vont venir s’ajouter à la liste des produits déjà stockés dans les entrepôts. « C’est un fait qu’il va y avoir plus de stocks en cette période de fin d’année et les risques d’incendie vont également augmenter. Il faut que les enseignes puissent avoir un entrepôt suffisamment spacieux pour pouvoir entreposer tous les produits achetés sans enfreindre les normes de sécurité. Nous savons que plusieurs magasins ont des pétards en stock et il faut que les consignes de stockage soient respectés à la lettre », nous explique Yoosoof Jauhangeer. Il ajoute que les responsables de magasins et d’entrepôts doivent procéder à une évaluation des risques d’incendie en cette période pour pallier à toute éventualité. « Malheureusement, il existe aucune loi qui oblige les propriétaires de supermarchés et autres enseignes à le faire. Mais j’ai constaté qu’il y a eu une prise de conscience depuis quelques temps et c’est tant mieux ainsi », dit-il. Selon notre interlocuteur, les magasins peuvent stocker leurs marchandises dans un deuxième entrepôt au lieu de remplir leur entrepôt existant.
En ce qui concerne le « Fire Certificate », le Health and Safety Consultant indique qu’il existe deux conditions essentielles qui peuvent contribuer à annuler ce document. « Toute transformation physique d’un bâtiment que ce soit en termes de chaises, de portes ou autres ainsi qu’une hausse dans le nombre d’employés vont annuler le Fire Certificate. Il faut alors faire une nouvelle demande », souligne-t-il.
La formation du personnel
Dans chaque entreprise, les employés doivent être formés pour les cas d’incendie. Yoosoof Jauhangeer nous fait comprendre que la formation doit cependant être axée sur l’évacuation des personnes au lieu de l’extinction de l’incendie. « Les employés de bureau ou de supermarché n’ont pas la même formation que les pompiers. D’ailleurs, nous avons vu dans le cas de Shoprite que l’incendie a été circonscrit après plus de 48 heures. Des employés de magasin ne sont nullement formés pour ce genre de situation. C’est pour cette raison que l’accent doit être mis sur l’évacuation », souligne le consultant. De son côté, l’Assistant Chief Fire Officer, Dorsamy Ayacouty, indique que la loi fait mention de la formation à l’intention des employés. « À l’article 5(2)(d), il est clairement stipulé qu’il ressort de la responsabilité des employeurs de donner des informations, des instructions, de la formation et de la supervision afin d’assurer la sécurité des employés au travail. Il faut organiser plus d’exercices de simulation (fire drills) », préconise-t-il.
Parallèlement, Yoosoof Jauhangeer met l’emphase sur l’importance d’un Roll Call Officer, voire d’un Chief Fire Warden. Selon lui, cet officier, qui doit être un employé de la société, doit également faire partie du management. « Son rôle en cas d’incendie sera déterminant car c’est lui qui donnera les instructions. Il aura été préalablement formé pour assurer cette fonction et il faut aussi qu’il y ait une seconde personne pour assurer la suppléance », dit-il. Il ajoute que les officiers de sécurité dans les supermarchés doivent aussi avoir une formation dans ce sens. « Ces officiers devront pouvoir donner un coup de main pour l’évacuation et veiller à ce que des voleurs ne profitent pas de l’occasion pour faire irruption dans le magasin. L’accès autour du périmètre de l’incendie doit être internet au public mais dans le cas de Shoprite, nous avons vu qu’il y avait des gens sur l’aire de stationnement », fait remarquer le consultant.
Les conseils à l’approche des fêtes
Pour Yoosoof Jauhangeer, il est impératif que les responsables des hypermarchés et supermarchés prennent les précautions nécessaires durant la période des fêtes. Il préconise la mise à jour ou l’installation nouvelle des équipements à utiliser en cas d’incendie, tels que les pompes et les extincteurs. Selon lui, il est important d’avoir un système d’alarme à incendie qui fonctionne correctement. Il conseille également de ne pas obstruer les passages et ne pas stocker les marchandises à proximité des lampes électriques. « Les courts-circuits sont la cause de plusieurs incendies. À l’approche des fêtes, les entrepôts vont être remplis et il faut revoir le circuit électrique. J’ai souvent constaté que les câbles ne sont pas remplacés alors que la consommation en énergie ne cesse d’augmenter », fait ressortir le consultant en matière de sécurité. Pour sa part, l’Assistant Chief Fire Officer, Dorsamy Ayacouty, estime que les enseignes de distribution ne doivent pas dépasser la limite de stockage des entrepôts.
En ce qui concerne les clients, Yoosoof Jauhangeer conseille de ne pas attendre la dernière minute pour aller faire les achats de fin d’année car bien souvent, les magasins sont bondés. « En cas d’incendie, ce serait la panique avec toute une foule de personnes qui voudront se mettre à l’abri. Cela peut être fatal », dit-il.
Me Dev Ramano : « L’employé a un droit de refus »
L’avocat Dev Ramano indique qu’un employé a le droit de refuser un travail qui lui a été confié s’il estime que cette tâche peut s’avérer dangereux pour sa santé et sa sécurité. « Les employés ont un droit de savoir. Ils ont aussi le droit de participer dans la règlementation des normes de sécurité car ce sont eux qui accompliront les tâches. Il est dommage de constater de nos jours que dans leur élan de toujours vouloir diminuer les coûts de production et par la même occasion, faire accroître les profits, les employeurs ne font pas grand cas des normes Health and Safety. Ainsi, le gain matériel se fait au détriment des employés qui sont exposés à tous les risques », fait-il ressortir.
Ceci dit, l’avocat spécialisé en lois du travail, ajoute que l’employé a un droit de refus s’il y a motif à justifier. « À Maurice, il n’y a pas vraiment de culture de Health and Safety. Il existe des employés qui sont exposés à tous les dangers chaque jour sur leur lieu de travail. Mais l’impact peut ne pas être immédiat. Par exemple, un employé qui est constamment exposé à des produits chimiques peut avoir le cancer plusieurs années après. Je pense que la santé et la sécurité au travail doivent être une des priorités des syndicalistes », estime Me Ramano.
En ce qui concerne la responsabilité de l’employeur en cas d’accident ou de mort d’homme, il indique qu’il y quelques manquements dans nos lois. « Le problème à Maurice, c’est que les sanctions ne sont pas à la proportion de l’accident. Comment compenser la perte d’un membre de la famille ? Cela vaut-il une somme d’argent ? », se demande-t-il. Dev Ramano ajoute aussi que les proches de la victime ont aussi des droits à faire valoir. « Si la victime avait une épouse et des enfants, ces derniers ont droit à une compensation eu égard à l’apport de la victime que ce soit en termes de salaire, de confort ou autres dommages que peuvent subir les proches », explique l’avocat. Il attire néanmoins l’attention sur le fait qu’un employeur peut ne pas être tenu responsable en cas d’un accident survenu sur le lieu de travail.