Bashir Taleb est catégorique : les enseignants éprouvent de plus en plus de difficulté à gérer la salle de classe. Selon lui, les jeunes enseignants n’ont pas la formation requise pour faire face aux élèves récalcitrants. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, le président de la Fédération des managers des collèges privés revient sur les incidents entre des élèves qui ont fait le tour du Web cette semaine.
Des vidéos montrant des élèves – filles et garçons – se bagarrant ont fait le tour de la Toile cette semaine. Comment expliquer ce genre de comportement ?
Comme je l’ai toujours dit, l’école fait partie de la société. Donc, elle sera forcément un reflet de ce qui se passe au sein de notre société. Aujourd’hui, nous constatons une dégradation des mœurs, les gens n’arrivent plus à contrôler leurs émotions et il y a de la violence partout. De ce fait, nous observons les mêmes comportements chez les jeunes et à l’école. Dans un deuxième temps, je dirais, et cela peut paraître lapidaire, que les enfants ont considérablement abusé des droits qui les protègent. Ils savent qu’ils sont protégés par la loi et ne se soucient guère des conséquences de leurs actes. Aujourd’hui, je pense qu’il faut venir avec des paramètres pour faire comprendre aux jeunes qu’il y a des limites à ne pas franchir au risque d’être sévèrement punis.
C’est pourtant un phénomène qui ne date pas d’hier…
Effectivement, car on constate une accélération de la dégradation des mœurs et le nombre de cas de violence ou de mauvais comportements des élèves n’est définitivement pas normal. Cela dit, on pourrait qualifier ce phénomène de cyclique. Dans les collèges, on a pu remarquer, au fil des années, qu’au milieu du second trimestre, il existe un relâchement de la part des élèves. Bien souvent, cela se traduit en une sorte de frustration et les élèves « se rebellent ». Mais la Private Secondary Education Authority (PSEA) ainsi que le ministère de l’Éducation sont conscients de ce phénomène sans pour autant qu’il y ait eu des mesures pour remédier à la situation.
Les enfants ont considérablement abusé des droits qui les protègent»
Pourquoi imputer aux autorités le mauvais comportement des élèves ?
En fait, tout le monde est à blâmer ! De nos jours, les enfants ne respectent même plus leurs parents qui ont une autorité naturelle sur eux. Or, l’autorité de l’enseignant n’est pas naturelle. Elle est régit par certaines règles. Mais au début de la réforme, nous avons proposé au ministère de l’Éducation de venir de l’avant avec un système de « record » pour chaque élève. Ainsi, si un enfant est un fauteur de troubles, cela sera noté dans son dossier. Si un jour, il est transféré à une autre école, son dossier doit l’accompagner. Mais nos demandes sont restées lettre morte.
En parlant des parents, pensez-vous qu’ils ont failli à leur responsabilité?
Non, ce serait injuste de dire que tous les parents sont irresponsables. Il faut comprendre que les problèmes de violence et autres dans le milieu scolaire ne concernent que trois élèves sur dix. Mais les sept autres sont des spectateurs. Or, ce phénomène de « foule » doit être abordé par les parents, les enseignants et les formateurs. J’estime que de nos jours, avec le mode de vie que nous menons, certains parents ne sont plus aussi proches de leurs enfants qu’ils auraient dû. Certains enfants sont aussi issus d’un milieu où ils sont exposés à la violence conjugale et tôt ou tard, ils finiront par reproduire cela à l’école.
L’apport d’un psychologue aurait-il aidé à redresser la situation ?
Effectivement. D’ailleurs, nous demandons depuis longtemps que chaque école puisse avoir un psychologue en permanence et ce, non seulement pour les élèves mais aussi pour les enseignants. Actuellement, les psychologues travaillent uniquement sur des cas spécifiques qui concernent la classe estudiantine. Il est vrai que nous faisons face à un manque accru de psy mais je pense que l’université de Maurice et le ministère de l’Éducation doivent travailler en ce sens et faire de la psychologie un programme d’études plus attrayant au lieu de concentrer tous les efforts sur des programmes d’études comme les finances.
Je peux vous dire sans hésitation qu’aujourd’hui chaque élève de Grade 7 a un Smartphone»
Une autre vidéo montre un enseignant presque impuissant face à un élève qui lui a confisqué sa trousse. Les enseignants n’apprennent-ils pas la gestion de la classe lors de leur cours de formation ?
La gestion de la classe et la relation interpersonnelle avec les élèves, c’est là où le bât blesse. Dans la vidéo, nous voyons que c’est un jeune enseignant qui n’a pas beaucoup d’expérience. La façon dont il aborde l’élève ne fait que le provoquer davantage. Un prof d’expérience aurait agi différemment. Et aujourd’hui, il existe un manque de formation pour les jeunes enseignants qui débutent. Dans certains collèges, il y a de jeunes enseignants qui viennent travailler sur une base temporaire et n’ont aucune notion de « classroom management ». Aussi, beaucoup de jeunes enseignants ne savent pas quelle devrait être leur relation avec les élèves.
Est-ce si difficile d’être enseignant de nos jours ?
Je dirais plutôt qu’il est plus difficile aujourd’hui d’être un bon enseignant. Il y a deux raisons à cela : les mœurs évoluent et il faut que les enseignants s’adaptent à ce changement, et deuxièmement, l’apprenant n’a plus de motivation. Et ces deux facteurs sont liés. Le manque de motivation est un phénomène que nous constatons de plus en plus chez les garçons. Pour l’heure, nous n’en connaissons pas encore les raisons.
…il existe un manque de formation pour les jeunes enseignants qui débutent»
Certains enseignants pointent du doigt l’Extended Stream. Pour eux, c’est la cause des violences dans les collèges. Est-ce vraiment le cas ?
L’Extended Stream a semé la pagaille depuis sa mise en application en janvier de l’année dernière. Le problème avec l’Extended Stream est que les élèves doivent suivre un programme académique. Or, ils n’ont pas l’aptitude à le faire. Auparavant, il y avait le « prevoc » et les élèves n’avaient pas, à proprement dit, un programme à suivre. Mais, ils étaient initiés à plusieurs domaines tels que l’agriculture, la menuiserie, etc. Les enfants de l’Extended Stream ont déjà failli à leurs examens de fin de cycle du primaire et leur faire suivre un programme académique au collège ne fera qu’empirer la situation. D’où leur frustration qui se traduit souvent par de la violence envers leurs camarades ou même envers les profs.
Par ailleurs, les étudiants prennent plaisir à filmer tout ce qui se passe en classe. Faut-il ainsi bannir les Smartphones à l’école ?
Bannir le Smartphone dans le milieu scolaire ne serait-il pas en conflit avec le projet de tablettes ? Il faudrait que le ministère de l’Éducation trouve une solution. Je peux vous dire sans hésitation qu’aujourd’hui chaque élève de Grade 7 a un Smartphone. Je sais que le téléphone portable a un usage académique dans les leçons particulières mais pas au collège. Bannir le Smartphone à l’école pourrait également créer un sentiment de frustration parmi les élèves.
À défaut de la punition corporelle, que faire pour discipliner les élèves à problème ?
La punition corporelle n’a jamais été la solution. D’ailleurs, je suis totalement contre. Mais on pourrait venir de l’avant avec des camps de redressement pédagogique comme c’est le cas dans plusieurs pays où l’enfant apprend la discipline extrême. Le ministère de la Jeunesse et des Sports peut organiser des camps pour discipliner les jeunes. À l’école, on pourrait introduire un système de retenue pour les élèves les samedis impliquant au passage les parents.